A force d'être gavé de bruit et de fureur, le spectateur oublie, ou ne sait pas, que parfois le combat n'est que silence. Les snipers, corps militaire à la fois craint et respecté, s'environnent de ce silence, comme de tous les éléments de la nature (voire de nos déchets), pour mieux approcher leur cible et la tuer, d'un coup, d'un seul. Et repartent aussi discrètement qu'ils sont venus. Le sniper fait peur parce qu'il est une sorte d'insecte qui chasse sa proie sur n'importe quel terrain, et ses techniques s'en approche (froideur, camouflage, lenteur des mouvements, reptation, attaque ultra-rapide). Il fascine les réalisateurs et ces tireurs d'élite ont fait l'objet de nombreux films (dont pas mal de nanars) : American Sniper, Stalingrad, Shooter, Jack Reacher, Léon... Le film de sniper est en genre en soi ; focus sur le personnage central, motivations, parcours, entrainement, et souvent lutte à mort contre un autre sniper. Car les récits de guerre ont mis en évidence une réalité, seul un sniper peut contrer un autre sniper (ou alors ils ont la malchance d'être repérés et subissent des attaques aux mortiers). Tous les ingrédients d'une bonne histoire sont donc là.


Sniper, on nous le précise, est inspiré d'une histoire vraie, celle de Mykola Voronin, engagé dans l'armée ukrainienne en 2014 suite au meurtre de sa femme. Jeune couple vivant en hippie un peu coupé du monde, il n'entendront pas les avertissements informant la population que des attaques militaires se déroulaient dans le Donbass. A partir de là, on peut voir ce récit de deux façons ; soit c'est un peu mièvre et sans scénario tonitruant ; soit comme le récit d'un homme perturbé dans sa vision du monde et qui bascule dans un seul et unique désir de vengeance. Le format du film est donc simple et linéaire ; il apprend, maladroitement, mais de plus en plus sûrement, puis il part au combat. Bof ? Oui, on peut dire bof...


Mais... Filmé à partir de 2019, ce film est sorti juste avant l'invasion russe de 2022. Il prend donc une autre dimension. On y découvre que le nationalisme ukrainien était déjà bien enclenché. Qu'à cette époque, beaucoup avaient fait leur choix, soit rester ukrainien, soit s'engager dans les milices pro-russes, ce qui sera source de nombreux drames (une scène aborde ce point). Ca c'est pour l'actualité. Mais Sniper distille au fur et à mesure une ambiance bien à lui, appuyée par une photographie de qualité. Au fur et à mesure de la métamorphose de ce héros malgré lui, le récit devient moi falot, plus déterminé, plus sérieux. Même si la vengeance guide toujours Mykola, on ressent que l'enjeu est bien plus grand, qu'un esprit de corps s'empare de lui qui va lui faire continuer le combat, même une fois les bourreaux de sa femme effacés de sa ligne de mire. J'imagine facilement qu'en Ukraine ce film serve à l'enrôlement des recrues et pourtant il n'y a rien de manichéen dans son écriture (hormis le drame initial). Juste une cause qui mérite que l'on donne son sang pour elle. On est loin de American Sniper et de son "héros" ambiguë qui semblait tuer pour tuer, même des enfants.


Une autre chose qui peut surprendre dans Sniper, c'est le rythme. Délibérément lent, à l'image de la vitesse de progression de ces militaires si particuliers. J'ai lu dans un article à leurs propos une blague qui circule dans l'armée ukrainienne : « si vous dites à l’infanterie et à un tireur d’élite qu’ils ont huit heures pour abattre un arbre, l’infanterie passe huit heures à le couper ; le tireur d’élite passe sept heures à aiguiser sa hache, puis le coupe d’un seul coup ». Ce rythme donne une sorte de contre champ à leur combat. Lenteur de l'approche, lenteur de l'acquisition de la cible, lenteur des gestes, de la respiration... et puis le coup fatal. La mort lente, dans le sens où celui qui va périr ne sait pas encore qu'il est déjà mort.


Il faudra attendre la dernière partie du film pour sentir une accélération, un final coordonné assez bluffant qui fait froid dans le dos. On est loin de l'impression de bricolage ou d'amateurisme, avec un fond de bizutage, ressenti dans la première partie. Bien sûr, ce n'est qu'un film, mais la véritable résistance ukrainienne face à Poutine est bien réelle. Ces civils devenus des guerriers par nécessité se sont montrés redoutables, apprenant vite et bien. Et les snipers de la force militaire Ukrainienne ont largement contribués à ce succès en éliminant des gradés russes et en déstabilisant les troupes non aguerries.


Malgré quelques maladresses et quelques clichés, Sniper est un film à voir, pour son ambiance, pour son rythme particulier, et pour sa progression narrative. Il est aussi porté par un bon casting et une ambiance sonore discrète, mais réussie. Mais il nous donne aussi une petite clef de compréhension de ce conflit qui n'en finit pas. Si vous aimez les films de guerre qui font boum boum toutes les deux secondes, passez votre chemin, mais si vous voulez voir quelque chose plus proche de la réalité, Sniper vaut d'être regardé.

Kerven
7
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le 19 août 2023

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