Snow in paradise est un film assez inclassable, même si le souci de la facilité l’estampille du genre thriller. La maison de production britannique Ipso Facto a dû recourir à un crowdfunding et chercher le gros du financement en France et en Allemagne, en dehors de son pays d’origine, c’est dire si le projet n’a pas été forcément compris de tous. Il est vrai que l’histoire vendue par son réalisateur, Andrew Hulme, s’écartèle donc entre le Thriller et l’étude de caractère, celui du personnage central Dave, petite frappe évoluant dans un East End londonien où le surpeuplement et la pauvreté ont été de tous temps les vecteurs d’un certain niveau de criminalité.
Le film évoque également l’immigration, au travers de l’implantation de l’Islam dans ces quartiers, au travers de cette grande mosquée qui se détache à l’horizon de cette bourgade, mais la découverte par Dave de cet islam soufiste constitue une partie du film malheureusement trop anecdotique du film.

Toutes ces directions font peut-être beaucoup pour un seul film, car on s’apercevra très vite que le réalisateur Andrew Hulme a été dépassé par son ambition.

Snow in Paradise est une mise en cinéma de l’histoire vraie de Martin Askew, le scénariste qui a co-écrit le film avec Andrew Hulme, un homme converti à l’Islam et dont l’oncle est Lenny « The Guv’nor » McLean, un boxeur londonien, mais également un gangster d’une certaine réputation. Il a co-écrit « The Guv’nor », un livre autobiographique qui est devenu un best-seller au Royaume-Uni. Un oncle qui a dû fasciner Martin Askew autant que le terroriser, puisque c’est lui-même qui va l’incarner avec une certaine noirceur dans le film, tandis que son propre personnage est confié à un nouveau venu dans le cinéma anglais, Frederick Schmidt, un jeune prometteur vu récemment dans l’excellent Les Poings contre les murs du britannique David McKenzie.

Déambulant dans les rues de son quartier avec son meilleur ami Tariq, Dave s’en prend à tous ces bobos qui envahissent l’espace, et contribuent à la « gentrification » de son quartier, Hoxton, une partie désormais très embourgeoisée du très ouvrier East End. L’argent est moqué, honni par Dave et ses amis, mais l’argent, c’est l’argent, une promesse de « Paradis », alors le voici en train de faire des livraisons douteuses pour son oncle criminel, des tombereaux de cocaïne qu’il livre à de malfrats que la présence du « paki », son ami Tariq, défrise. Tariq est un apprenti rappeur sans grande ambition qui se réfugie derrière la religion et la peur du « sheitan » pour tenter de ne pas mouiller dans les activités de Dave. Il sera pourtant largement mouillé, puisque le synopsis annonce d’emblée sa mort, liée à une bêtise de la part de Dave, mais également au racisme crasse qui n’est jamais bien loin, toujours tapi, prêt à surgir à la moindre occasion.

Ce drame, c’est le tournant du film, l’événement qui entraîne chez Dave la culpabilité et la prise de conscience par rapport à l’impasse de la violence. Avant de faire sa macabre découverte, Dave va fréquenter la mosquée à la recherche de son ami disparu. C’est autre chose qu’il va y trouver, un espoir, une réponse, la possibilité d’une alternative.

Le film traîne en longueur, avec un acteur principal qui pourtant joue juste la plupart du temps, mais qui, comme le film lui-même, ou à cause du film lui-même, a quelquefois du mal à doser ses effets. Sinon, le casting est plutôt équilibré : le scénariste Martin Askew personnifie son oncle en connaissance de cause, campant un homme manipulateur et pervers. David Spinx (de la série East Enders) joue le rôle de l’ami de son père défunt, un autre oncle, un autre malfrat, un marchand d’illusions qui lui fait miroiter le Paradis et sa luxueuse villa en guise d’appât…

Le scénario offre de nombreuses possibilités de faire un film intéressant, avec des scènes d’action, de l’humour, une partie importante sur l’intimité du personnage central, son extrême solitude, sa descente aux enfers dans les vapeurs de la drogue, sa tentative de vie familiale avec une mère célibataire prostituée, et bien sûr la découverte de l’Islam… Mais il y a un problème de rythme et de mise en scène : tout est traité en surface, et Andrew Hulme part dans beaucoup trop de directions et semble indécis quant à l’accent qu’il veut mettre dans son film. Il utilise des procédés un peu racoleurs, comme par exemple ces flash-forwards répétitifs et peu esthétiques qui n’ajoutent rien au métrage, et qui finissent par agacer. Andrew Hulme ne se cache pas d’avoir voulu réaliser « son » Prophète, le très beau film de Jacques Audiard, mais de la coupe aux lèvres, il y a hélas encore beaucoup de chemin.

Le plus gros écueil du film reste sans doute cette évocation de l’Islam, dont on ne sait trop ce qu’il représente pour Dave. Le traitement de sa nouvelle appartenance à cette religion est trop elliptique : tout d’un coup, il se retrouve avec la serpillère et le balai à la main, en train de nettoyer la grande salle de la mosquée, sans que l’on comprenne vraiment son cheminement. Il y avait là pourtant matière à creuser, car ce nouvel assujettissement, cet échange du corps de règles des gangsters et de la rue, contre le corps de règles de l’Islam était sans doute la meilleure chose à explorer pour donner au film la dimension qui lui manque pour l’extirper du magma des films de drogue et de gangsters au fond duquel il risque de rester englué pour longtemps…
Bea_Dls
6
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le 18 mars 2015

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Bea Dls

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