Si Rafi Pitts a choisi de parler de frontières et de déracinement pour Soy Nero, son nouveau film après The Hunter qui prenait place à Téhéran, c’est parce qu’il connait bien le sujet, lui réalisateur francophone menacé de prison en Iran, en exil depuis 1979.
Mais cet aveu assez évident, il ne le fera qu’à la fin des questions-réponses de cette 34e Cinexpérience. « J’ai cherché la frontière la plus absurde à laquelle je pouvais penser, et est venue celle entre les Etats-Unis et le Mexique, particulièrement entre la Californie et le Mexique, car la Californie lui appartenait dans son histoire récente. Puis j’ai cherché quelque chose que je n’avais pas vu. Et je suis tombé sur les Green Cards Soldiers. »


Après le 11 septembre 2001 et le Patriot Act, 8000 soldats ayant combattus pour les Etats-Unis se sont en effet fait expulsés notamment vers Tijuana ; c’est le cas de la famille du héros du film, Nero. Le seul moyen pour ces jeunes expulsés ayant vécu toute leur vie aux USA d’obtenir leur nationalité ? S’engager dans l’armée, comme prévu par le souvent méconnu DREAM Act, également passé sous Bush. La naturalisation pouvant aussi s’effectuer à titre posthume…
Tout en écrivant son scénario entre plusieurs pays avec Răzvan Rădulescu, écrivain et scénariste roumain, le réalisateur se rend au Mexique, puis aux Etats-Unis pour rencontrer ces soldats.
Rafi Pitts se défend malgré tout d’avoir réalisé un film « anti-américain ». « J’ai assisté à l’enterrement d’un Green Card Soldier côté américain, avec sa famille l’observant de l’autre côté du mur. Je ne l’ai pas mis dans mon film sans cela il aurait pris une direction anti-américaine et ce n’était pas cela que je voulais. » Il y a préféré la scène de volley au-dessus du mur, un camp de chaque côté de la barrière et celle-ci en guise de filet, pratique courante avant les années 2000 à Tijuana et qui souligne l’absurdité absolue de cette frontière, au-delà de sa violence.


Public Enemy


Le film se découpe en trois actes, le premier étant celui des tentatives de Nero pour rejoindre les Los Angeles. Dès le début, il est présenté comme « l’ennemi ». « La costumière a trouvé ce T-shirt du groupe de rap Public Enemy. Après le film, ils nous l’ont offert », souri Rafi Pitts.
Une scène incroyable retient particulièrement l’attention : celle de la traversée de la frontière de nuit durant le nouvel an, deux silhouettes furtives se glissant à toute allure vers le mur à la lumière des feux d’artifices. « Nous avons obtenu des autorisations côté mexicain seulement, et c’était la grande fierté des gardes mexicain que de nous laisser faire ce film. »


American Dream


La suite prend place dans le décor de rêve d’une villa de Beverly Hills où Nero est supposé retrouver son frère. Le luxe invraisemblable confinant à l’absurde de l’immense propriété aux animaux empaillés, moulures dorées kitsch à souhait et piscine gigantesque apparait ici comme une parodie du rêve américain.
Celui-ci se brisera-t-il ?


No man’s land


Dans un pays qui ne dit pas son nom – qui pourrait être l’Afghanistan ou l’Irak, grâce à la plasticité du paysage mexicain ayant servi de lieu de tournage – une guerre intemporelle a lieu, avec son lot habituel d’attente, de feu, de morts, et encore et toujours d’absurdité.
Sur place, Rafi Pitts a rencontré un Green Card Soldier ayant un ourson dans un bac à sable tatoué sur le bras. Quand il lui a demandé une explication, le soldat a répondu que dans le désert, on se sentait enfermé. C’est cette réclusion paradoxale qu’a tenté de faire ressentir le réalisateur en utilisant des téléobjectifs au lieu d’objectifs grand angle pour écraser l’immensité des paysages.


Rafit Pitts ajoute : « Tous ces personnages ont pour point commun qu’ils sont perdus. Ils veulent tous appartenir à quelque chose qui les rejette. »
Et dans leur égarement, « ils sont tous semblables à ce gamin avançant seul dans le désert avec sa mitraillette. »

Lucie_L
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le 30 août 2016

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