Les soeurs Wachoswki sont surtout connues du grand public pour leur trilogie Matrix et l’aventure initiatique de l’enfant prodigue, Néo. Mais en 2008, vint au jour Speed Racer. Un long métrage ludique et créatif comme on en voit peu de nos jours. Film qui fut boudé à sa sortie, mais qui au fil du temps montrera sa réelle valeur: celle qui dépasse l’ombre des films cultes, pour devenir celle d’un grand film.


Rares sont les blockbusters aussi généreux dans leur ambition visuelle, aussi indépendants dans leurs notes d’intentions et aussi fédérateurs dans leurs thématiques. De prime abord, le film a cette double facette assez flamboyante : avec d’un côté toute une imagerie décalée et enfantine, des incrustations et des surimpressions de toute part, des couleurs criardes, des courses de voitures que l’on croirait sorties d’un jeu vidéo (on pense beaucoup à Wipeout fusion ou Mario Kart) ou d’un dessin animé (Tex Avery), des petits gags gentillets (les très sympathiques situations entre le singe et le petit frère du héros) qui se confrontent avec fantaisie et magie, au travail d’orfèvre qui s’avère d’une maîtrise délurée de la part de deux réalisatrices nous offrant un spectacle jouissif.


Chose vue dans Cloud Atlas, dans Sense8 mais aussi dans leur filmographie entière, la réelle qualité des Wachowski, outre de raconter des histoires aux thèmes universels, est celle de maitriser l’art du montage. L’exemple est simple: il n’y a qu’à admirer béatement les 20 premières minutes du film pour s’en rendre compte : où il est difficilement possible d’être aussi précis dans l’emboîtement des images, dans ce kaléidoscope d’un cinéma en perpétuel mouvement. A toute allure on assiste à une course de voiture futuriste, aux design cartoonesque, avec une tension dans les virages sidérante. Dans le même temps, on rentre quasiment dans la tête du protagoniste, jeune coureur effréné se remémorant les souvenirs de son frère défunt. A ce moment-là, Speed Racer, sans perdre son rythme rapide, sans jamais jouer au laboratoire vidéoludique nous présente tous les enjeux émotionnels et narratifs du film. Mais Speed Racer, décrié à sa sortie, fait partie de la race des grands, aux côtés de Fury Road de George Miller ou même du nouveau SpiderMan New Génération dont les travaux des Wachowski sont une grande influence.


Les cinéastes n’ont pas juste filmé un délire euphorique plein de couleur, aux looks bariolé et au montage d’images kitsch (gros plans sur les visages qui passent de droite à gauche de l’écran) mais ont écrit un véritable film, avec une histoire dont la simplicité du trait est proportionnelle à la grandeur des thématiques, sur le destin d’un coureur qui veut faire face aux grandes écuries corrompues, permettant de développer une vraie empathie envers ce coureur, qui malgré ce qu’on peut dire sur son frère, et malgré la mort de ce dernier, veut rouler droit dans ses bottes, faire la fierté de sa famille, et courir pour le plaisir de courir pour ne pas succomber aux sirènes de l’argent. Des thèmes récurrents comme le libre arbitre, la liberté de soi-même et des opprimés contre les plus « forts », qui sont détaillés de façon un peu naïve mais efficaces.


Mais c’est aussi la marque des réalisatrices: cette idée de rassemblement dans la genèse d’une création, cette connexion entre les êtres et les arts pour faire surgir leurs identités disparates et faire face à une société américaine délavée, grisâtre, consumériste et individualiste. Certains pourraient trouver ce militantisme un brin utopiste et crédule, mais cette liberté d’esprit et cette mission de tolérance innervent toutes les particules flashy visuelles du film et fait de Speed Racer, ce genre d’OVNI qui ne devrait pas en être un. Ici, on est donc en face d’un véritable plaisir expérimental ultra coloré dont on peut profiter en famille, cinéphile ou non.


Ce genre d’œuvre qui ose avec ses courses d’automobiles incroyables de vitesse et d’originalité, et qui au lieu de nous divertir bêtement n’en oublie pas de développer son intrigue (le mystère autour du frère) et l’ampleur de ses personnages (le père), nous divertit tout en pouvant nous faire vivre un voyage esthétique à travers le regard de deux passionnées du cinéma et qui ne donnent aucune limite à leur inventivité, parfois dégoulinante de kitsch, sans que cela fasse mauvais gout une seule seconde. Toutes leurs influences, notamment celle du jeu vidéo et de cinéma, sont complètement ingurgitées par Speed Racer pour nous livrer un spectacle jubilatoire. Un grand moment.


Article original sur LeMagduciné

Velvetman
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le 5 févr. 2019

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Velvetman

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