Spring Breakers, c'est presque un teen movie et c'est presque un film de gangsters. Et puis c'est presque un mauvais clip MTV, et puis c'est presque un porno et un documentaire. Mais en fait c'est rien de tout ça.
Spring Breakers, c'est un tourbillon qui vous embarque dans un excès de couleurs à vous en faire mal au cœur, où les sons se confondent et se font sans cesse écho, un tourbillon suspendu dans le temps qui revient constamment sur lui-même, et ceux qui préfèrent résister au courant sont libres de mettre les voiles et de ne pas y retourner.

On sait rapidement à qui on a affaire, on n'essaie pas de nous faire croire que les quatre amies au centre du film sont censées représenter l'ensemble de la jeunesse américaine. Les autres spring breakers sont partis avant elles et n'ont pas eu à braquer de fast-food pour ce faire. D'ailleurs, « Alien » leur dit, comme un refrain : « I can't believe what I see ». Elles sont à part. C'est normal, elles sont ses âmes-sœurs, dit-il, et son nom à lui est assez évocateur. D'un autre côté, le film se concentre sur ce malaise et la quête identitaire qui amène, en partie, les filles à effectuer leur voyage.
La première partie du film est plus centrée sur le spring break bien connu des Américains : fête sans fin, alcool, sexe, drogue, musique. Pourtant, dès le début, on les voit jouer les gangsters en brandissant un flingue imaginaire ou en buvant de l'alcool à coups de pistolet à eau, avant d'organiser pour de bon le braquage qui leur paiera leur spring break. Plus tard, elles prennent un malin plaisir à rejouer la scène pour Faith (Selena Gomez), celle qui n'y a pas participé, qui dès le début apparait en décalage aussi bien avec son groupe de prière qu'avec ses trois amies. Et celles qui ne sont pas prêtes aux mêmes extrêmes que les deux autres partent lorsqu'elles sentent que les événements s'apprêtent à les dépasser, référence à l'une des premières scènes du film, quand le prêtre assure qu'avec chaque tentation vient une échappatoire possible. Elles n'ont pas toutes les mêmes limites – on se demande où se situent celles des deux qui restent.

Tout semble se passer dans une bulle, hors du temps, ou dans un éternel présent. Au début de leur spring break, Faith exprime cette envie de figer le temps, pour que leurs bons moments en Floride durent toujours. C'est un thème qui revient tout au long du film, aussi avec ses nombreuses répétitions (sûrement un record), dans les dialogues mêmes ou en écho, ses flashbacks et flashforwards... Il y a bien sûr aussi la référence à Scarface qui tourne en boucle dans la chambre d'Alien. C'est un peu le temps passé au mixeur et recollé grossièrement.
La forme est au service du fond. Les filles le disent encore et encore, partir en spring break, pour elles, c'est se couper de la réalité pour quelques temps. Leur réalité, elles la trouvent laide et triste. « L'herbe est même pas verte, elle est marron. » Alors le film prend des allures de rêves, de trip, et tout devient rose, bleu, jaune, vert, rouge... Tout se passe entre rêve et cauchemar, et la limite est très floue : une même scène est souvent éclairée de plusieurs couleurs à la fois, chacune avec ce qu'elle évoque. Déjà avant le braquage, l'une des filles répète aux autres de faire comme si elles étaient dans un jeu vidéo ou un film, et elles se prennent si bien au jeu qu'elles ne reviennent plus à la réalité. La scène précédant le climax est totalement surréaliste : Alien et les filles, leurs (peu de) vêtements rendus fluo par une lumière noire, qui avancent au ralenti sur le pont illuminé de fuchsia, comme s'il était suspendu dans la nuit. Et, comme si on en avait besoin, la voix d'Alien qui répète : « Seems like a dream ».

Tant visuellement que dans ses sujets, ce film est plein de contrastes et de bouleversements – littéralement parfois, le dernier plan est complètement renversé, mais aussi dans les relations entre les personnages, dans leur vision de la vie, dans le décalage entre ce que les filles racontent au téléphone et ce qu'elles font... Difficile d'y lire un message clair, ce n'est certainement pas le but du film, qui incite plus à l'interrogation (si, si, je vous assure) qu'il ne cherche à délivrer de réponse.
Spring Breakers flirte aussi avec beaucoup de clichés mais parvient à ne pas tomber dedans, un peu comme si on les voyait en décalé. Les personnages ont un côté caricatural, mais les filles ne sont ni vraiment des pouffes superficielles, ni vraiment des femmes fatales. Alien n'est pas exactement un vrai dur à cuir mais pas non plus un gangster au grand cœur caché derrière ses grillz. Tout ça, c'est juste la face émergée de l'iceberg, et Korine en rajoute encore des couches pour mieux troubler le spectateur.

Ce film est excessif, et je n'adore pas tous ses excès, mais ils semblent presque tous se justifier. Oui, peut-être même ces innombrables gros plans sur des seins et fesses exhibés sous tous les angles, et évidemment les scènes de violence, qui ne choquent que parce qu'on s'y est habitué tellement vite qu'on les remarque à peine, et c'est justement cette banalisation qui gêne. Le climax est violent et pourtant tellement dans la continuité du film qu'on se contente d'un haussement d'épaules et, voilà, c'est fini. De toute façon, on avait déjà mal au cœur.

J'aimerais m'attarder sur d'autres thèmes intéressants (je sais qu'il y en a dont je n'ai pas parlé) et sur tous les détails qui m'ont plu, mais un simple inventaire serait inutile. Je compte sur un second visionnage pour peut-être organiser tout ça plus tard.
En attendant, j'espère que les sceptiques laisseront une chance à ce film, qui est plus qu'un American Pie avec des flingues.
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le 28 nov. 2013

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