Vers la chambre des souhaits...

Dans un pays et une époque non définie, l’existence d’une zone interdite, formée par la chute d’une météorite selon l’une des rumeurs, galvanise les désirs des hommes. Ce No man’s land, cacherait un secret, ”la chambre des souhaits”, exauçant les vœux des personnes qui parviendraient à y pénétrer. Le Stalker, une sorte de ”passeur” ou ”guide”, est le seul à pouvoir permettre aux désireux de franchir cette zone, aux règles bien définies et multiples dangers mortels.

Le film nous raconte la traversée en fraude d’un écrivain et d’un physicien désespérés, guidés par un Stalker. Leur excursion débute sur un site dévasté et désenchanté accentué par une teinte monochromatique sépia, du plus bel effet, mais qui parait illusoire tant on a l’impression que certaines couleurs semblent papilloter, tels des pigments verts sur des tiges d’herbes, créant une profondeur vivifiante cachée derrière cette mortifère ambiance. Puis, suite à un petit jeu de cache-cache trépidant face aux sentinelles jusqu’à l’entrée de la zone qu’ils réussissent enfin à fouler de leurs pieds ; en même temps que s’installe un silence apaisant, les couleurs éclatent à l’écran, arborant la magnificence d’un paysage où nature et vestiges cohabitent et duquel lentement émerge le murmure du vent suivi d’un hurlement lointain… Une entrée en matière, qui laisse sans voix et qui pousse notre curiosité à son paroxysme : quel est donc la particularité de ce territoire, décrit comme dangereux et qui pourtant nous semble plus avenant que l’extérieur ?

L’histoire du film est une longue quête initiatique de nos trois personnages au fin fond de cette région aux codes bien spécifiques, semée de dangers invisibles et inexplicables dont seul le Stalker semble comprendre plus ou moins le fonctionnement : avancer au moyen d’un boulon fixé à un chiffon blanc qu’on lance devant soi pour ouvrir le chemin ; chacun son tour rejoignant la marque établie ; ne jamais retourner sur ses pas ni emprunter deux fois le même chemin… Lors de leur expédition, les trois hommes vont lentement révéler leurs personnalités, leurs doutes et leurs secrets au travers de discussions, réflexions et décisions à prendre. Les paysages de la zone, magnifiques, voire luxuriants, donnent l’impression d’un gigantisme labyrinthique ; Andreï Tarkovski l’embellissant par des cadrages photographiques superbes… On a souvent la sensation d’être un protagoniste à part entière, épiant les fraudeurs dans leur cheminement, par ces sur-cadres que Andreï Tarkovski utilise dans sa réalisation, profitant d’une fenêtre végétale, de l’entrée d’un tunnel poisseux ou de l’embrasure d’une carcasse de véhicule parsemant la contrée, révélant un passé tragique aux nombreuses disparitions. Car, la zone détient sa propre personnalité, n’acceptant les intrus qu’à certaines conditions…

Outre un récit dans lequel le charisme et la très bonne interprétation des acteurs rend les dialogues, confrontations et le mystère accrocheur, Le film fait la part belle à des scènes plus ou moins oniriques et symboliques incrustées dans la narration qui transcendent sa portée philosophique et mystique. Enfin, je n’ai pas évoqué les scènes dans le domicile du Stalker qui ouvre et ferme le film, symbole d’une boucle répétitive du temps et des actes, mais elles aussi révéleront des comportements énigmatiques tels sa fille semblant cacher un secret…

Stalker nous parle de l’homme et de ses propres aspirations existentielles afin de toucher aux bonheurs ou à une vie ayant du sens et bien sûr du désespoir et de la souffrance qui en découlent inévitablement. La chambre des désirs est le symbole de cette foi en son idéal alors même qu’elle engendrera doute, remise en question et perte de l’élan. Par l’intermédiaire de cette quête, le film nous montre aussi la complexité égoïste de l’âme humaine, renfermée sur elle-même, qui cherche prospérité, pouvoir ou suprématie sur les autres. L’écrivain, idéaliste à la gloire du passé perdu, se sent dépossédé et inutile, pourtant son sentiment de supériorité spirituelle va se révéler lors du récit, allant jusqu’à se comparer aux fils de Dieu ; quant au physicien, son but inavoué à la portée soi-disant raisonnable et humaniste illustrera tout l’égoïsme d’un acte de vengeance… Le Stalker aussi sera mis en transparence : Un Guide au service du bien-être des autres ou de son propre bonheur ? Quant à la chambre des Vœux : une Bénédiction ou une Malédiction pour l’homme ?

Je m’arrêterais là afin de laisser planer des zones d’ombres et ainsi préserver l’émerveillement pour qui souhaite parcourir cette contrée en compagnie de ces individus accablés par le poids de leurs propres désirs… Et, bien que le film dure 2h40, Stalker reste envoûtant et intrigant jusqu’à la toute dernière phrase prononcée par le ”passeur”, clôturant à merveille ce pèlerinage…
Karaziel
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le 1 août 2014

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Karaziel

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