Starship Troopers, la satire où ça tire !

Sorti en 1997, ce film de Paul Verhoeven est l'adaptation du roman éponyme de Robert A. Heinlein (Etoiles, garde-à-vous !, en français). Le roman avait déjà servi d'inspiration à Cameron pour Aliens qui l'avait fait lire à ses principaux acteurs avant le début du tournage.
Je vais d'abord parler du livre car d'une part il le mérite et d'autre part pour mettre en évidence la différence importante avec l'adaptation qu'en a fait Verhoeven.


La base de la science-fiction militaire.

Le roman Starship Troopers est un classique incontournable de la science-fiction et le précurseur du sous-genre « science-fiction militaire », qui continue de façonner à peu près tout ce que vous pourrez lire ou voir impliquant des marines dans l'espace en lutte contre une race extraterrestre. Pour les plus geeks d'entre nous, le roman à un écho certain dans le monde du jeu vidéo avec des univers comme Starcraft et Mass Effect ou bien encore dans le wargame Warhammer 40000.

Le premier chapitre, très cinématographique dans son écriture, est absolument génial et mériterait d'être adapter littéralement.
Il pose d'emblée une différence fondamentale de forme et même de fond avec l'adaptation de Verhoeven (et même chez Cameron) car ici, outre la présence du cliché excusable pour l'époque du sous-officier gueulard, les fantassins sont des supers soldats en exosquelette muni d'un réacteur dorsal, avec puissance de feu atomique, plus proches d'Iron Man ou de Boba Fett que de marines chair à canon avec pétoires (legs du Vietnam).
Bref, contrairement au film, le soldat, plus petite unité dénombrable de l'armée, est une ressource précieuse à haut potentiel, fortement considérée.


« Si vis pacem, para bellum »

Cependant, Heinlein ne se contente pas de décrire une armée de super soldats écervelés écharpant une race de visqueux aliens insectoïdes mais son film est avant tout un motif pour nous exposer une idéologie politique militarisme. Et si ce terme est devenu péjoratif, c'est pourtant celui qui regroupe le mieux les idées de son auteur.
Il faut bien comprendre que le roman fut écrit en pleine guerre froide avec la menace nucléaire et qu'Heinlein n'y dissimule pas sa répulsion pour le communisme dont les arachnides, avec leur esprit de ruche, en sont la métaphore.
Bien que son propos puisse porter à polémique, Heinlein ne tombe pas vraiment dans le fascisme, et il invite plutôt et surtout le lecteur à s'interroger sur les notions de violence et de force, d'autodéfense et de légitimité, de devoir civique et d'organisation politique, dans le cadre d'assurer la survie de la société et de l'espèce humaine.

L'exemple marquant au début de son livre (et repris aussi au début du film) est le passage où une élève dit à son professeur d'histoire et de philosophie morale que : « la violence ne résout jamais rien » et celui-ci en prenant l'exemple de Carthage (Hiroshima dans le film), lui répond que : « la violence, la force brutale a plus souvent été décisive au cours de l'Histoire que tout autre facteur. Croire le contraire, c'est rêver dans le vide, entretenir une idée fausse que l'on paie de sa vie, de sa liberté ».
Cette réalité est à la base de la pensée pragmatique d'Heinlein dont va découler le régime politique qu'il nous propose.

Quelque peu inspiré de Sparte, l'oligarchie miliaire par excellence, son système accorde le statut de citoyen et le droit de vote à ceux ayant effectués leur service militaire. Cependant, le reste de la population continue de vivre en toute liberté et de jouir de sa liberté d'opinion et de mœurs.
Heinlein, dans le passage cité plus haut et toujours à travers le personnage du professeur, nous interroge sur la justification de ce modèle politique (idem dans le film).
La réponse ne viendra que dans les derniers chapitres où un officier explique à Rico que : « le citoyen place la sauvegarde du groupe au dessus de la défense de ses intérêts personnels » ou pour reformuler autrement comme le dit Rico dans le film (bien que le propos de ce dernier soit complètement opposé comme nous le verrons ensuite) : « le citoyen contrairement au civil prouve par son service et son sacrifice qu'il est capable de faire de l'avenir de l'humanité un devoir et une obsession personnelle ».
Bref, le droit de vote chez Heinlein c'est comme un diplôme, ça se mérite par la souffrance et l'effort, voir le sacrifice.
De plus, tout est fait pour dissuader l'individu de rentrer dans ce système devant la difficulté de ce qui l'attend (il n'y a donc pas de processus d'endoctrinement, ni de propagande).
Par ailleurs, le modèle qu'il nous présente ne fait aucune distinction de race, de sexe ou de religion entre les individus et ne repose pas non plus sur les capacités intellectuelles ou physiques de ceux-ci mais uniquement sur leur volonté de servir le bien commun fait par la preuve absolue de la mise en jeu de leur bien le plus précieux: leur propre vie.
En résumé, un système qui n'est en rien raciste et où la discrimination n'est fondée que sur la valeur de l'individu, elle même fondée sur son sens du sacrifice pour le bien du plus grand nombre.

Heinlein renforce son propos en évoquant le déclin des puissances démocratiques à la fin du 20ème siècle devenues trop laxistes et permissives et où l'individu avait perdu le sens des valeurs morales et civiques et sa responsabilité sociale.
Il s'attaque aussi aux causes de la délinquance et critique même les hommes politiques d'autrefois qui pouvaient prendre des décisions pour le reste de la société sans que les effets de celles-ci n'ai réellement d'impact pour eux.


Mon suffrage.

Le régime d'Heinlein peut paraître dur et pragmatique mais finalement nécessaire dans le monde menacé qu'il nous décrit (lui même reflet de son époque) et compte tenu de la nature humaine. Heinlein est ici un peu le machiavel de la S-F mais ses opinions, certes clairement orientées à droite et sur le fil du rasoir, ne sont pas dénuées de fondements. Pourtant on ne peut s'empêcher de penser aux effets pervers et dérives d'un tel système s'il était appliqué et j'ai de la sympathie pour une grande partie des idées d'Heinlein je n'arrive jamais à adhérer totalement à son propos
Qu'à cela ne tienne, je préfère cent fois plus les idées d'un Heinlein qu'une pensée idéaliste emplie de bons sentiments humanistes, n'en déplaisent aux pacifistes que je renverrais au rôle immoral joué par leurs semblables avant et pendant l'occupation allemande (« La seule chose qui permet au mal de triompher est l'inaction des hommes de bien » dixit Edmund Burke. Pire encore, c'est quand les gens qui se prennent pour des hommes de bien collaborent avec l'ennemi, mais je m'égare...).
Pour conclure, traité Heinlein de fasciste serait absurde lorsque l'on lit son roman suivant Stranger in a Strange Land (En terre étrangère, en français) dont les thèmes et idées, comme le refus de la violence ou le rôle controversé de l'Etat, semblent radicalement opposés à ceux de Starship Troopers.
Les deux romans, pourtant écrits pendant la même période, pourrais presque laissé penser qu'Heinlein fut atteint de schizophrénie.
Ca tombe bien car c'est ce qui m'arrive quand je compare Starship Troopers à son adaptation.


Total Recall !

Maintenant que j'ai exprimé ma sympathie pour le livre, revenons en à notre mouton justement : L'adaptation de Paul Verhoeven.
Comme c'est trop souvent le cas avec les adaptations de roman de science-fiction, le film s'éloigne plus ou moins du livre (souvent plus) pour le meilleur et pour le pire (souvent le pire). Verhoeven avait déjà adapté Total Recall en prenant des distances avec K. Dick mais c'était vraiment réussi (On ne peut pas en dire autant de Spielberg avec Minority Report, de K. Dick aussi, le pauvre).
Ici Verhoeven, bien plus que de s'éloigner du livre, caricature une grande partie des idées d'Heinlein, allant jusqu'à faire une critique acerbe des valeurs américaines, dont certaines parmi les plus controversées, et nous livrant pour le coup une vraie satire sur le fascisme.
Bien qu'il aurait peut-être apprécié le résultat, quelle belle enculade pour Heinlein cependant et alors que n'importe quel puriste crierait au scandale devant une telle traîtrise de la pensée de l'auteur, ici l'adaptation de Verhoeven est tout bonnement géniale et jouissive.
Ce qui me fait autant adorer l'œuvre originale que son adaptation cinématographique créant alors une dichotomie dans mon esprit.
Non, en vérité je suis plus intéressé par comment exprimer un propos que le propos lui-même et Verhoeven avec ce film, après Robocop et Total Recall, poursuit brillamment sa saga de science-fiction en atteignant l'excellence dans l'art de la satire sur grand écran.


L'allure du Hollandais violent.

Avant d'entrer dans le propos du film à proprement parler, attardons nous sur le style de Verhoeven et de ce qui fait de ses films des œuvres bandantes à souhait.
Là où Verhoeven ne manque pas de talent et même de culot, c'est qu'il a réussi à masquer une satire en nous livrant un blockbuster aux effets spéciaux incroyables (et qui n'ont pas trop vieillis), faisant de ce film, une œuvre à la fois très intéressante intellectuellement et très divertissante pour les amateurs de film d'action bourrin.
Verhoeven reprend pour le mieux ses gimmick présents dans Robocop ou Total Recall comme la surenchère de la violence visuelle (nécessaire au propos) ou l'utilisation de spots télévisuels futuristes
pour faire passer une idée ou dénoncer un fait avec une économie de temps et d'efficacité pour appuyée sa thématique principale.
En outre, il y a toujours la présence de créatures de rêve des plus triquantes (Sharon Stone dans Total Recall et Basic Instict et Denise Richards dans le présent film). Verhoeven sait vraiment s'y prendre pour créer une scène qui nous remue le slip sans tomber dans la vulgarité.
Mais le vrai point commun avec ses deux précédents films est le parcours de son héros basé sur un schéma scénaristique similaire :
Le protagoniste par une décision consciente va s'extraire et détruire un idéal de vie privée, se transformer et pénétrer dans un monde complètement différent à la fois violent et cruel.
Alex Murphy dans Robocop refuse d'attendre les renforts face à une bande de criminels et se fait tuer avant de revenir en super policier cybernétique mais qui aura cependant perdu la vie idyllique avec sa femme et son fils.
Douglas Quaid contre l'avis de sa femme décide de se rendre chez Total Recall où il se révèlera être agent secret mais après cela son couple de rêve vole en éclat et sa vie ne s'avère être qu'une illusion qui le conduira à une terrible réalité sociale sur Mars
Dans Starship Troopers, Johnny Rico, gosse de riche, décide contre l'avis de son père de s'engager dans l'armée où il va devenir une excellente recrue avant de découvrir l'impitoyable réalité de la guerre.
Ce qui est intéressant chez Verhoeven c'est que le personnage principal n'est pas la victime d'événements extérieurs comme bien trop souvent mais que c'est d'un choix conscient et pleinement assumé de sa part que vont découler tous les autres évènements.
En somme, un cinéma qui responsabilise le protagoniste principal auquel le spectateur va généralement s'identifier, c'est bien ! (voir le dialogue entre Rico et son professeur au bal de fin d'année qui fait directement référence à cette idée).


Starship Troopers, satire tripante !

Explicitons la satire maintenant.
Dans un premier temps, au travers d'un remake futuriste de Beverly Hill, Verhoeven se moque du modèle social américain, de l'affirmation et de l'ascension de l'individu au sein de son milieu. Tous les clichés sur le lycée américain y passe avec la volonté de nous montrer de jeunes gens à l'apparence parfaite inversement proportionnel à la mentalité pourrie et superficielle qu'ils renferment. Tout le fil conducteur de Starship Troopers ne va reposer que sur des sentiments puériles débouchant sur une compétition virile pour briller aux yeux des autres.

Pourtant à ce stade et quand bien même on y aurait déjà décelé le second degré, le film ne créer chez nous ni la répulsion, ni l'indignation mais au contraire pulsion et engouement . On a envie d'être ces personnages (et de se taper Denise Richards) ! Et cette identification aux personnages déjà jouissive mais très perverse va le devenir encore plus lorsque l'on rentre progressivement dans la satire du fascisme qui débute véritablement avec l'arrivée de nos amis à l'armée.

La grande force de Starship Troopers n'est pas temps de nous présenter sur un mode caricatural une utopie fasciste que de nous faire emporter à notre insu par cette idéologie et d'y trouver une fascination taboue, ainsi qu'un plaisir pour l'ordre, la force et la violence (Qui n'a pas envie d'être Johnny Rico, gravissant les échelons de l'armée tout en allant casser de l'alien sur un monde inconnu ?).
Bien sûr le film n'est pas explicitement présenté comme une satire et le qualificatif « taboue » n'est employé que par celui qui a compris que c'en était une. D'où tout le génie de perversion de Paul Verhoeven qui a du trouver un malin plaisir à observer les réactions nombreuses de spectateurs totalement emporté par le premier degré de son film.
Mais le plus dérangeant, c'est que même en ayant conscience du second degré on ne peut que trouver le premier degré jouissif, Verhoeven nous renvoyant alors dans la face nos fantasmes cachés... Cependant je pense que si vous n'aimer que le premier degré du film vous êtes mal barré...

Durant le film, le vrai doute et questionnement du spectateur peut intervenir lorsque qu'apparaît les officiers de la Fédération dont les uniformes sont quasi similaires à leur homologue allemands de la Seconde Guerre mondiale faisant un lien direct avec l'Histoire.
Cette perturbation de notre conscience n'aurait pas fonctionner si le fascisme ou le nazisme avait été replacer dans son contexte car notre jugement moral sur cette partie de l'Histoire nous aurait rebuter et fait haïr le film d'entrée.
Il n'y a que la science-fiction qui permette de s'affranchir assez d'un contexte historique tout en recréant un cadre inédit pour nous faire revivre une situation passée dans les mêmes conditions.
Ce film, peut-être plus que Lavague, est sûrement le meilleur exemple de ce qu'on vécu les jeunes allemands dans les années 30, incapables d'avoir de jugement rétrospectif et d'élément comparatif sur ce qu'ils étaient en train de vivre.
Finalement Verhoeven signe ici le meilleur film sur le pouvoir enivrant du fascisme.
De surcroît, Verhoeven ne tombe pas dans la facilité de nous présenter, à travers l'un des protagonistes, un point de vue différent sur l'idéologie qu'il caricature, préservant ainsi le pouvoir d'immersion du spectateur et son adhésion passive à cet imaginaire fasciste.

Jusqu'au-boutisme dans son exécution, Starship Troopers fut ainsi mal interprété à sa sortie et son réalisateur traité de néonazi par quelques critiques qui ne voyaient pas plus loin que le premier degré et qui n'avaient donc pas saisi tout le génie de mise en scène au service de son propos (on ne peut pas en dire autant de Zack Snyder qui lui est malheureusement très sérieux avec son 300).

Une mention pour la musique magistrale de Pouledouris, absolument enivrante et au service total de ce que je viens d'expliquer.


They Will Win !

Starship Troopers est l'un des rares films des années 90 que je peux me repasser en boucle sans jamais me lasser. Je pourrais bien lui trouver deux, trois défauts, par-ci par-là, mais ce serait insignifiant devant le plaisir qu'il me procure. Je nourris pourtant le désir secret d'une adaptation plus proche de la pensée d'Heinlein.
Altharil
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Science-fiction (Films) et Les meilleurs films de Paul Verhoeven

Créée

le 11 nov. 2011

Critique lue 480 fois

2 j'aime

Altharil

Écrit par

Critique lue 480 fois

2

D'autres avis sur Starship Troopers

Starship Troopers
zombiraptor
10

1001 blattes

Une fois de plus, je viens de m'enfiler cette petite merveille en prenant un pied fou. Starship Troopers c'est l'histoire de militaires du futur transportés dans des gros vaisseaux spatiaux,...

le 1 janv. 2014

141 j'aime

33

Starship Troopers
The_Dude
8

We must meet this threat with our valor, our blood, indeed with our very lives to ensure that human

Starship Troopers. Ayant vu le film et lu le roman (par ailleurs excellent malgré les opinions politiques de l'auteur, lire le livre est tout aussi formateur que voir le film) je pense pouvoir me...

le 19 oct. 2010

105 j'aime

12

Starship Troopers
Sergent_Pepper
7

Sous la lumière bleue d’un grouillant génocide : Chanson de geste

Ils sont jeunes et fringants, le brushing impeccable Sourire carnassier à l’assaut de la gloire Athlètes sculpturaux, auxquels on a fait croire Que la beauté du monde est un soap implacable. Récit...

le 4 oct. 2014

92 j'aime

13

Du même critique

Guild Wars 2
Altharil
4

La guerre des brouillons

Il y a quelques années sortait World of Warcraft, véritable phénomène de société addictif et jouissif dont les qualités intrinsèques sont trop nombreuses pour être citées. Disons simplement qu’il...

le 29 août 2012

41 j'aime

37

Du sang et des larmes
Altharil
8

Du cran et des armes !

Voici une histoire dont j’ai entendu parler il y a longtemps (j’avais même lu le livre de Marcus Luttrell) et j’ai été très heureux d’apprendre que Peter Berg allait en faire un film et même s’il est...

le 1 janv. 2014

27 j'aime

1

Hunger Games - L'Embrasement
Altharil
3

Gnangnan Games : L'emmerdement

J'ai l'impression d'avoir vu exactement le même film que l'année dernière, du coup tout ce que j'avais pu dire dans ma critique du premier volet reste vrai dans le second : ...

le 3 déc. 2013

22 j'aime

5