Ma plus belle histoire d'amour ! C'est moi !

Sur les chemins noirs du réalisateur-scénariste Denis Imbert conte une véritable histoire d'amour... Ben si, ça conte bien une histoire d'amour. Une histoire d'amour entre le protagoniste et lui-même. Il n'y a pas à dire, il se kiffe à fond. Voilà, j'ai résumé le film.


Alors, vous allez me dire que mettre en scène un personnage qui s'adore, ne manquant pas une seule occasion de le mettre en avant, n'empêche pas de faire un bon film. C'est vrai. Mais là, si...


Je vais commencer à justifier mon avis en prenant un exemple. Vers le début, notre héros rencontre une jeune femme, dans un coin bien perdu en montagne, vendant des fromages. Pourquoi cette scène ? Pour que l'on puisse faire connaissance un court instant avec elle, pour savoir comment elle a atterri ici, quel est son parcours, son quotidien dans un lieu aussi isolé, etc., même ne serait-ce qu'au détour d'un court échange de répliques ? Non, pas du tout. C'est simplement pour souligner combien notre valeureux marcheur à la plume arrive à pécho, même sans le vouloir et (pour ce cas précis !) sans en profiter. Ben, tant mieux pour lui. Je confesse être très envieux de ce type d'hommes, mais, sérieux, ça n'aurait pas été plus intéressant d'en savoir un peu plus sur la fromagère ? Oui, le fait de montrer qu'il puisse pécho sans le vouloir est la seule raison d'être de cette scène. Et c'est loin d'être un cas exceptionnel.


En fait, l'intrigue a beau tourner autour d'un être qui, après un accident con, se lance un défi, à savoir parcourir à pied la "diagonale du vide" (soit un itinéraire, des Pyrénées aux Ardennes, en passant par le Massif Central, à travers les endroits les plus méconnus, les moins peuplés, les moins fréquentés de France !), le seul sujet du film, c'est que cet être s'adore et ne s'intéresse pas du tout ou peu à ce qui l'entoure. Attendez... je ne savais pas que le Mont-Saint-Michel était dans cette "diagonale" ; c'est vrai que c'est tellement méconnu et peu touristique (au moins, s'il a eu un petit creux après toute cette marche, notre Superman des sentiers a eu la possibilité d'y bouffer une omelette à 50 euros !)... On rajoute un aspect "carte postale office du tourisme" dans la liste des défauts du truc ? Ouais... Euh, il y a la mer dans les Ardennes ? Ce n'était pas assez valorisant d'afficher notre Jack London de Saint-Germain-des-Près devant des extérieurs de la région Grand Est ?


Bon... quasiment à chaque fois qu'un nouveau personnage se pointe, inconnu ou connu jusqu'ici de notre grand écrivain-explorateur de nos contrées, c'est pour souligner combien notre protagoniste est quelqu'un de formidable. La huitième merveille du monde...


Les rares fois lors desquelles il ne s'agit pas de se mirer et de s'admirer par les yeux des autres, notre Narcisse écoute d'autres personnages, sans sembler être véritablement captivé, et n'appesantît pas à leur poser des questions, à en connaître un peu plus sur eux. Un religieux lui avoue avoir décidé d'entrer dans les ordres, d'un seul coup, après avoir touché une sculpture en pierre dans un monastère. C'est sublime comme récit (pour tout avouer, je pense que ça aurait fait un meilleur synopsis pour un film que l'autre coco s'aimant d'un amour tendre !)... mais le séducteur magnifique s'en bat le coquillard et se tire juste après.


Pour les paysages parcourus ? Euh, oh, il y a bien de jolies images de temps en temps pour donner le change, mais, néanmoins, en incluant toujours dans le cadre notre aventurier des routes perdues.


Et, pour ajouter au plaisir, on est obligé de se trimballer aussi, sans cesse, une voix-off imagée et absconse du protagoniste. Je n'ai pas lu le roman fortement autobiographique, adapté ici, de Sylvain Tesson (En défonçant le film et son personnage principal, n'est pas lui en réalité que je suis en train de défoncer ? Vous avez quatre heures !), donc je suis incapable de dire si cela passe mieux à l'écrit qu'à l'oral, mais le cinéma est un art visuel. En conséquence, le spectateur est capable de comprendre par lui-même, tout seul comme grand, ce que telle image veut révéler (à l'instar du moment durant lequel l'accidenté traverse une rue peuplée uniquement d'emplacements commerciaux vides et de cartons "À vendre" !). Il faut sans arrêt que tout soit ramené à lui. Pas besoin de flanquer des commentaires, en continu, dans les oreilles de ceux qui regardent. Narcisse pollue la vue, Narcisse pollue l'ouïe.


A vrai dire, le personnage aurait passé sa convalescence dans son luxueux logement parisien, qu'il aurait pu aborder le même sujet : lui, lui et lui. Les paysages ? Les inconnus croisés par les hasards des chemins ? Ce qu'ils révèlent de la France, en bien ou en mal ? Les proches (je pense, au passage, à Joséphine Japy qui n'a rien à jouer, comme tous les autres acteurs secondaires, alors qu'elle interprète la compagne de notre égocentrique !) ? On s'en fout. Lui, lui et lui.


Et pour le côté exploit de la distance parcourue ? Alors quatre fois sur cinq, la caméra filme un accident du protagoniste pour qu'on n'oublie pas (si on ne l'avait pas retenu lors des 400 précédentes fois !), qu'en dépit de ses limites physiques, médicales, notre Monsieur a trop un mental d'acier pour se laisser décourager, qu'il faut trop admirer sa volonté à toute épreuve. Voilà.


Le reste du temps, il traverse, lors de telle scène, un petit bout de chemin ou (comme je l'ai mentionné auparavant !), lors de telle autre, il se met en scène devant la nature environnante. Le tout par à-coups, avec juste des mentions, trop sporadiques pour bien imprégner la narration du long-métrage, du nom du lieu et du nombre de kilomètres effectués, sans réussir à injecter le moindre impression qu'il s'agit d'un interminable voyage sur la longueur et sur le plan humain. Denis Imbert n'a pas intégré que la grammaire cinématographique, notamment par le biais du montage, est tout à fait capable, en quelques secondes ou en quelques minutes, d'insuffler la sensation d'un sacré nombre de bornes subies, du poids physique et psychologique que ça engendre (comme remède à cette grosse lacune, je recommande au réalisateur de se mâter et d'étudier soigneusement des David Lean ; cela ne lui ferait vraiment pas de mal !).


Bon, le tout se visionne, malgré tout, sur le coup, sans ennui, parce que le rythme est assez dynamique, parce qu'il y a l'espérance (vaine !) renouvelée que ça parle d'autre chose (par l'intermédiaire d'un lieu ou d'un personnage !) pour apporter de la consistance, parce que Jean Dujardin apporte son charisme. Mais l'autosatisfaction est une matière creuse quand elle ne va pas au-delà d'elle-même.

Plume231
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le 23 mars 2023

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Plume231

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