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  • L’illusion du grand voyage

Tesson fascine. Il incarne le mythe du voyageur solitaire, du contemplatif en rupture avec le monde moderne. Sa plume est souvent louée pour son souffle poétique, sa quête d’absolu, sa capacité à saisir l’instant. Mais une fois passé l’effet de style, que reste-t-il ? Un homme qui marche et ressasse. Un écrivain qui, à force de s’admirer en miroir, finit par ne plus rien voir du paysage qu’il traverse.


Le film Sur les chemins noirs (2023), adaptation de son récit autobiographique, expose avec une précision presque clinique les limites de son approche. Porté à l’écran par Denis Imbert, avec Jean Dujardin dans le rôle principal, il prétend narrer un voyage initiatique à travers la France profonde. Mais très vite, une question s’impose : initiatique, vraiment ? Car derrière l’errance géographique, le cheminement intérieur reste d’une superficialité confondante.Une errance sans enjeuLe film s’ouvre sur un drame personnel : un accident, un homme brisé, la nécessité de se reconstruire en marchant. Un point de départ efficace, mais rapidement vidé de toute substance. Car si le périple de Tesson emprunte les chemins noirs de la France rurale, jamais il ne quitte le sillon de son narcissisme.


On pourrait espérer que cette marche à travers le pays soit l’occasion d’une confrontation avec le réel, avec ces territoires oubliés et ceux qui les habitent. Mais non. Le film, à l’image du livre, ne s’intéresse pas aux autres. Il ne s’intéresse pas non plus au territoire, sinon comme un décor vaguement pittoresque. Tout tourne autour d’un homme qui marche pour se contempler en train de marcher. Il ne rencontre rien, sinon son propre reflet.


  • Un regard absent sur le monde.

Et c’est là que le film se heurte à son plus grand paradoxe. En suivant les routes secondaires, en s’éloignant des grands axes, il aurait pu documenter une France en marge, capturer quelque chose de cette ruralité trop souvent ignorée. Il aurait pu être un regard sur l’abandon des campagnes, sur les mutations silencieuses du pays.


Mais Sylvain Tesson ne regarde pas. Il marche en solo, sans jamais vraiment voir ce qui l’entoure. La France de Sur les chemins noirs n’existe pas. Elle est une carte postale floue, une toile de fond interchangeable pour un récit purement individuel. On est loin de la puissance documentaire d’un Depardon ou de la sensibilité d’un Giono. Ici, le pays est un décor et les gens des figurants.


  • Une poésie creuse

Certains défendront le film au nom de sa beauté contemplative. Il est vrai que certaines images sont joliment composées, que la nature y est filmée avec un certain soin. Mais cette beauté reste artificielle, plaquée. Elle ne raconte rien, ne transmet aucune tension, aucune vérité.


Jean Dujardin, pourtant excellent acteur, ne parvient pas à donner chair à ce personnage qui se refuse au doute et à l’altérité. Il avance, dit quelques phrases sentencieuses, mais tout sonne faux. À force de se vouloir poétique, Sur les chemins noirs devient creux. Comme si, au lieu de s’ouvrir au monde, le film ne faisait que recycler de vieilles poses littéraires, sans jamais les incarner vraiment.


  • Un film à l’image de son auteur

Finalement, Sur les chemins noirs n’est pas un film raté parce qu’il est mal fait. Il l’est parce qu’il révèle, malgré lui, le vide du projet de Tesson. Derrière la quête d’absolu, derrière la volonté d’épure, il n’y a qu’un homme qui tourne en rond. Il marche, mais ne va nulle part.Si vous cherchez un vrai film sur l’errance, mieux vaut revoir Into the Wild. Là au moins, le voyage n’est pas une pose, mais une transformation. Ici, on ne fait que regarder un homme s’admirer en train de marcher, et c’est long. Très long.

okaidac
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le 12 févr. 2025

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okaidac

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