Cette nouvelle adaptation de la pièce de théâtre de Marguerite Duras témoigne en premier lieu de la protéiformité de l’œuvre de cette écrivaine et cinéaste. Le non moins réussi Vera Baxter était, lui aussi adapté de cette pièce. On se souvient de son unique thème musical latino-américanisant qui habite le film. Excellente technique, par ailleurs initiée par Duras, qui consiste à donner au film une sorte de signature musicale récurrente qui stimule l'appréhension du spectateur quant à la réapparition du court thème musical, généralement composé de quelques notes. Il est intéressant de noter que cette méthode a été reprise par de nombreux cinéastes dont Hong Sang-Soo qui la maîtrise à merveille, notamment dans Hotel by the River. Benoit Jacquot s’en souvient aussi pour Suzanna Andler mais opte pour une sorte de flûte de Pan, assez effacée. Quoi qu’il en soit Baxter et Andler sont difficilement assimilables et pourtant ces deux films proviennent de la même pièce. Leurs points communs sont peu nombreux tant chaque adaptation est attachée à un tout et une manière fondamentalement durasiens. On conviendra, au détriment du film, que le duo Gainsbourg-Schneider n’arrive pas à la cheville de celui de Seyrig-Depardieu. Charlotte Gainsbourg, qui semble investie dans son rôle, a été une héroïne durasienne à la hauteur, estime une partie de la presse française. Pourtant le principal reproche que l’on peut lui faire est qu’elle habite trop les dialogues. En se remémorant les grands héroïnes durasiennes qu’étaient Emmanuelle Riva ou Delphine Seyrig, leur force était justement de réciter leurs dialogues avec une platitude assumée mais une élégance folle. Gainsbourg perd sur les deux tableaux, habillée pour Saint-Laurent elle semble graviter autour de ce salon, certes hermétique, sans jamais l’habiter. Quant à Niels Schneider, il est intéressant de l’évoquer parce que Suzanna Andler confirme un cas d’école : son effacement face au rôle féminin. Cet acteur, dans ses derniers films essentiellement, semble être choisi dans l’unique but d’être discret face au personnage féminin, c’est le cas dans Revenir face à Adèle Exarchopoulos, dans Sibyl face à Virginie Efira et même dans Les choses qu’on dit les choses qu’on fait, face à Camélia Jordana. Avec ces quelques derniers rôles, Niels Schneider, qu’il fallait pourtant apprécier dans les amours imaginaires, semble être malheureusement réduit à une vignette masculine figée, faisant ressortir la présence de sa partenaire.
Suzanna Andler est indéniablement un film mineur mais néanmoins réussi. Cette promesse que Benoît Jacquot avait faite à Marguerite Duras lorsqu'il était son assistant réalisateur d'adapter sa pièce est tenue et ne fait certainement pas honte à l'oeuvre de Duras. Ce film tient la route, non pas grâce à la qualité de ses interprètes mais parce que Jacquot sait filmer et sait rendre captivante une pièce de théâtre. Chaque plan de Suzanna Andler s'inscrit, pour paraphraser Perec, dans une tentative d'épuisement de la scène. Que ce soit cette formidable reprise, que Duras avait occasionnellement pratiquée, de mouvement de caméra en arc de cercle qui rend toute séquence vivante. Le film s'achève avec une forte impression de brièveté et d'enthousiasme, prouvant que l'oeuvre théâtrale et filmique de Duras, même à titre posthume peut être poursuivie et magnifiée.

Mlemagnen
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le 6 juin 2021

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