Il n'y a finalement que deux sortes de [bons] films, les films tonitruants et les films pénétrants. Quand les premiers explosent dès les premières scènes et nous éblouissent du début à la fin, les seconds se construisent pour ainsi dire sous nos yeux et n'apparaissent dans leur beauté foudroyante qu'à la toute dernière image.

Alors qu'ils ne se ressemblent pas, Suzanne et L'inconnu du lac, les deux plus beaux films français de l'année, appartiennent d'évidence à la catégorie des films qui avancent pas à pas, démarrant l'air de rien, petitement, doucement, pour construire un tissage dense et ténu, aussi intelligent que subtil, une œuvre en creux dont l'ambition et les risques pris se mesurent après coup.

Car Suzanne est un film ambitieux au sujet particulièrement casse-gueule. En racontant 25 ans de vie(s), Katell Quillévéré prend tous les risques, celui de l'histoire déjà racontée, du drame social convenu, de la narration lente et usante. Déjouant un à un tous les écueils attendus, la réalisatrice construit un récit de moments superposés, un collage narratif aux ellipses audacieuses, comme un album photo dont les images seraient les chapitres.

Suzanne est une histoire d'amours, entre ce père veuf et ses deux filles, l'inconstante aînée et la sage cadette, amours malmenées par celui qui dévore tout, l'amour irraisonné de Suzanne pour le bandit solitaire, dealeur au grand sourire, partant puis revenant, celui pour qui elle lâche tout, abandonne tout, jusqu'à sa propre identité. Il y a de la soumission chez Suzanne. Il y a de la soumission dans l'amour.

Certaines scènes sont bouleversantes, d'autres magnifiques. La maîtrise narrative du film est imparable, l'interprétation éblouissante. D'abord en retrait, comme étrangère à elle même, adolescente mal fagotée, puis amoureuse folle, mère perdue, fille rongée, Sara Forestier traverse le film comme un astre changeant, gardant jusqu'au bout sa part de mystère. À ses côtés, grande fille solide à la voix forte, tout aussi fragile et douce, Adèle Haenel confirme tout le bien que l'on pense d'elle. François Damiens compose un père maladroit et aimant plein de subtilité. Même ses larmes sont belles [quand il pleure, on a envie de le prendre dans ses bras]. Les seconds rôles Paul Hamy et Corinne Masiero sont parfaits.

Mélodrame assumé et puissant, film puzzle à la narration ambitieuse, récit de vies de rien, fracassées mais dignes, Suzanne impose la talent de Katell Quillévéré et rejoint la liste des meilleurs films de l'année.
pierreAfeu
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2013, 2013 • film par film et Top cinéma français 2013

Créée

le 28 déc. 2013

Critique lue 387 fois

pierreAfeu

Écrit par

Critique lue 387 fois

D'autres avis sur Suzanne

Suzanne
eloch
8

"Ceux qui restent"

"Suzanne" est avant tout un film de l'absence. Ce qu'elle laisse sur les visages, dans les gestes de ceux qui restent. C'est d'abord l'absence d'une mère qui se fait sentir dès le début du film,...

le 1 janv. 2014

41 j'aime

8

Suzanne
Grard-Rocher
8

Critique de Suzanne par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Nicolas, chauffeur routier, est père de deux fillettes adorables: Suzanne et Maria. Malheureusement ce papa très attentionné élève seul les enfants car son épouse est décédée. Les filles ont grandi...

30 j'aime

8

Suzanne
Courte-Focalefr
6

Critique de Suzanne par Courte-Focalefr

Si Suzanne fait si forte impression, ce n’est pas seulement parce que Katell Quillévéré y effectue un pas de géant après un premier long-métrage bien trop timide voire fade, Un Poison violent (2010)...

le 28 juin 2013

20 j'aime

2

Du même critique

Nocturama
pierreAfeu
4

The bling ring

La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...

le 7 sept. 2016

51 j'aime

7

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

La Crème de la crème
pierreAfeu
1

La gerbe de la gerbe

Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...

le 14 avr. 2014

41 j'aime

21