De nos jours, l’évitement de la mort est plus fort que jamais. Nos chers petits n’échappent pas à ce regard : il s’agit avant tout de les préserver, de les protéger, presque de faire comme si la mort, cette vilaine chose, n’existait pas. Sans doute une réaction bien compréhensible à une éducation, pas si ancienne - l’affaire de trois générations... -, où l’on formait les enfants au contact de la mort, en leur imposant des visites aux malades et aux mourants ou encore la vision, parfois non préparée, de leurs proches décédés. De la difficulté à trouver un juste milieu ; si tant est qu’il existe, face au scandale de la finitude...


Courageusement, donc, la société Folimage sort, en cette période d’hommage aux morts, une série de six courts-métrages d’animation consacrés à ce thème inconfortable ; six « short(s) », selon le parti-pris ludique et frontal du titre...


Les deux premiers, « Pépé le morse » de Lucrèce Andreae et « Mon papi s’est caché » d’Anne Huynh, ouvrent la danse en abordant, chacun à leur manière, la disparition du grand-père : camaïeu de gris, beiges et bleus pour une scène de bord de mer, hivernale et nostalgique, pour le tout premier... Heureusement, de grandes rafales, de vent, de fantaisie et d’onirisme, viennent balayer le tout, animant les replis sur soi et provoquant une montée vers des larmes communes et libératrices. Preuve que l’eau salée qui coule des yeux peut être moins triste qu’une colère, insulaire et muette, qui ronge comme un crabe. Aux antipodes, Anne Huynh fait de son court-métrage une joyeuse explosion de couleurs, à l’aide de ses pastels gras qui composent comme des tableaux mouvants, entre impressionnisme et nabisme. Tableaux qui célèbrent la sève et la vie qui se poursuit, à travers les végétaux d’un jardin, dont un grand-père rieur aurait appris l’entretien à son petit-fils, avant de jouer à s’y cacher ; définitivement ; et jamais tout à fait, puisque les plantes, les oiseaux sont là...


Anne Baillod et Jean Faravel reprennent ensuite, dans un noir et blanc superbe, rarement rehaussé d’une très discrète couleur infiniment délicate, la poignante nouvelle du danois Andersen, « La Petite Marchande d’allumettes ». Une très jolie réinterprétation, dans laquelle les affiches et les enseignes de la ville, étrangement animées, témoignent moins d’indifférence à la petite marchande que les passants pressés... Suivent, dans le désordre, « Mamie », dans lequel Janice Nadeau fait intervenir, comme Andersen à la fin de son conte, la figure de la grand-mère morte. Mais cette « mamie » occupe ici, d’emblée, une place centrale, questionnante. En six minutes, la réalisatrice d’origine québécoise revient, avec une immense sensibilité, sur l’opacité d’un personnage qui fut femme et épouse avant d’être grand-mère, et elle parvient, par l’entremise de son dessin délicat, à métamorphoser la blessure d’une indifférence subie en infinie tendresse entourant de sa compréhension un autre enfin rejoint.


Puis « Chroniques de la Poisse », d’Osman Cerfon, dans lequel un triste poisson, à qui rien ne réussit (encore que ses échecs peuvent parfois le sauver du pire...), produit sporadiquement des bulles de malheur flottant dans l’air et déchaînant les catastrophes dans la vie des êtres, à partir du moment où, telle une auréole négative, elles se fixent au-dessus de leur tête...


Cette danse macabre se referme avec la reprise parodique d’une tradition mexicaine, « Los Dias de los muertos », qui veut que les morts soient accueillis et nourris par leurs proches quelques jours par an, « les jours des morts », afin de réchauffer leurs pauvres os et de réconforter leur pauvre âme. Mais il n’est pas dit que les défunts imaginés par Pauline Pinson aient puisé dans la mort et dans le détachement de la vie de grands trésors de sagesse : en effet, ces morts hauts en couleurs semblent sortir du tombeau aussi gourmands, aussi volages et aussi jaloux que les vivants qui leur ont survécu ! Une très bonne nouvelle, après tout, si même la mort ne parvient pas à endormir les passions humaines ni à rendre raisonnables les infatigables humains !


Six courts, donc, qui en disent long sur la mort, et qui le disent joyeusement, puisqu’ils démontrent surtout qu’il n’est pas si simple d’en finir avec la vie et que même la mort n’y suffit pas !

AnneSchneider
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le 1 nov. 2018

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Anne Schneider

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