Méfions-nous de l’idolâtrie.
C’est ce qu’a dû penser Murnau pendant le tournage en entendant les nombreux avertissements adressés par les autochtones qui considéraient qu’il violait les tabous locaux en choisissant imprudemment le titre du film, en installant le quartier général sur un ancien cimetière, en tournant une séquence sur un lieu interdit ou pire en allumant un feu sur un marae. Accomplissement du sort ou funeste hasard, Murnau mourra huit jours avant la projection du film.
Outre la méfiance des locaux, Murnau dut affronter bien des contretemps et autres complications. Le désistement des producteurs et par conséquent le problème du financement du film en fut un, qui entraina le prolongement du tournage durant 18 mois. Un interminable calvaire. Mais c’est surtout le duumvirat, c’est-à-dire la collaboration à parts égales entre Murnau, le réalisateur, et Flaherty, le cinéaste du documentaire, qui tourna mal et empêcha le bon déroulement des choses.
Les tensions créatrices et la discordance des enjeux narratifs sont palpables, si bien que le fruit de leur collaboration donna lieu à un monstre hybride, assez incohérent, où se mêlent d’interminables scènes de danse et autres éléments folkloriques (la pêche aussi), finalement peu ethnographiques et servant surtout à mettre en scène les talents de danseuse et les formes envoûtantes d’Anne Chevalier, dite Reri, et des éclairs de génie, comme ces photographies d’intérieurs avec les corps enlacés, ces gros plans sur les images symboliques (la perle trouvée, la corde coupée, …). Par ailleurs, l’histoire romanesque au pathos mal maîtrisé, voulue par Flaherty, fait ombre au récit plus élaboré de Murnau dépeignant une innocence naturelle corrompue par l’homme blanc avec son matérialisme et son alcool.
Ainsi, si Murnau a décroché le Saint Graal du cinéma avec L’aurore, il n’en est pas pour autant un Dieu tout-puissant convertissant tout en sublime. Méfions-nous donc de l’idolâtrie.