Un lieu peut être en lui-même, par son histoire et par l’Histoire qui l’a traversé, porteur d’ironie. Tel est le cas de Tempelhof, aéroport central de Berlin, créé en 1923 puis amélioré par Hitler afin qu’il devienne le plus élégant et le plus prestigieux qui soit, à présent reconverti pour partie en centre d’accueil pour migrants, pour partie en vaste et plat parc public...


On peut comprendre qu’un réalisateur ait éprouvé l’envie d’y poser sa caméra. Mais le documentaire de Karim Aïnouz adopte platement la chronologie mensuelle d’une année, chaque mois étant annoncé par un carton rédigé en arabe et lu en voix off par un exilé syrien que l’on suivra de loin en loin durant ces douze mois. Se succèdent ainsi les saisons, très prévisibles sous nos latitudes et ne suscitant quelques plans intéressants que lors des mois hivernaux, et de préférence de nuit, lorsqu’une brume salutaire vient faire oublier la laideur des constructions et la platitude nécessaire du lieu...


On accompagne ainsi Ibrahim, son quotidien morne dans le centre, malgré toute l’organisation mise en place par le pays d’accueil, ses récits tellement idylliques du pays natal, en voix off, que l’on en viendrait presque à ne plus s’expliquer son départ, d’autant que rien n’est dit des causes et motivations réelles de son exil. Quelques silhouettes autres émergent, le plus souvent aussitôt délaissées... Deux conversations tranchent, toutefois, impliquant toutes deux un exilé très âgé : l’un arrive avec des orteils très endoloris, expliquant avec une gratitude anticipée que celui qui saura le soigner lui guérira l’âme du même geste ; l’autre s’étonne avec respect de l’honnêteté des Allemands, une honnêteté présentée comme une forme d’incapacité, mais délectable : « Ces gens-là ne savent pas mentir ! En plus, s’ils te doivent ne serait-ce qu’un centime, ils vont à la banque, et te le rendent !... Je me croirais au Paradis !.. ».


En-dehors de ces trop rares saillies, on ignore, lorsque défile le générique de fin, quelle était l’intention réelle du réalisateur... Nous faire éprouver l’ennui du quotidien dans ces centres d’accueil, un ennui pas même rompu par « la bouffe de merde » dont se moquent les Syriens entre eux ? La dérision d’une traversée maritime si périlleuse pour atteindre un tel anti-bonheur ? On ne sait... Et le flou du propos n’est pas toujours garante de subtilité...

AnneSchneider
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le 5 oct. 2018

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Anne Schneider

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