Magnifique film qui porte silencieusement le fardeau de la déchirure populaire chinoise, Terre jaune fige les ardeurs de ses personnages sur des tableaux délicatement brossés. Dans ce long métrage foncièrement pudique, le décor est un réceptacle pour les douleurs humaines qui s’y recroquevillent sans dire mot. Solennellement, Chen Kaige retrace avec un récit d’une déconcertante humilité les fractures sociologiques d’un pays constitué de terres irrégulières, d’aspérités idéologiques et d’obstacles intellectuels. Les frustrations et la douleur ne s’écoulent ici pas en fulgurances violentes, mais sous la forme, plus timide, de chants et de complaintes mélancoliques.


Western au climat mutique, Terre jaune déroule par des processions pesées les indices de la rupture communicationnelle entre les pôles – géographiques et idéologiques – d’une Chine en profonde transmutation. Que ce soient les corps humains massés en groupe ou les opaques enchevêtrements de rocaille qui envahissent l’écran, l’effet ne diffère pas : l’individualité est opprimée, comme entravée par ces mondes trop grands, rappels allégoriques des systèmes sociaux qui refusent la pensée individuelle.


Douce errance évoluant au rythme de vagues contemplatives qui ouvrent à la méditation personnelle, l’œuvre montre l’inatteignable réconciliation de mœurs désaccordées. La languissante cadence narrative fait promener les regards des personnages, communiquant par le non-dit l’essence de son atmosphère. Histoire de déchirement, Terre jaune met en scène le délitement des dogmes existentiels et l’inéluctabilité des discontinuités générationnelles. Sobrement, Chen Kaige orchestre ses images, crépusculaires, comme les derniers vestiges d’un paradis perdu. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’êtres humains qui évitent le progrès opiniâtrement, convaincus que la volonté sourde de la masse ne pourra en bout de ligne que défigurer les vues poétiques des monts chinois.


mile-Frve
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le 25 juin 2022

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Émile Frève

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