Henry est un génie, c'est acquis. On ne sait pas tout-à-fait dans quelle mesure il est génial, le film n'en dit pas beaucoup sur ses capacités cognitives et on ne le voit pas réaliser des prouesses mathématiques hors-normes. Néanmoins c'est un génie. Il invente des machines dont on ne comprend pas l'utilité, et dont on n'a pas besoin de comprendre l'utilité. Surtout il est d'une maturité aberrante ; il est un grand frère formidable, et semble être la mère de sa mère. En tant que véritable adulte de la maison, il gère les finances de la famille. Bien sûr, Henry est aussi un voisin idéal, puisqu'il met tout en oeuvre pour protéger sa jeune voisine des violences de son beau-père. Pendant ce temps, sa mère joue aux jeux vidéos. La pauvre dame est dépassée par toutes ses responsabilités, mais peut se reposer sur Henry, puisqu'il est malin, prévoyant et attentionné. Peter est le petit frère mignon et guilleret. Il se comporte comme un enfant entre une mère adolescente et un grand frère trop adulte.
Nous avons ainsi une famille étrange, paradoxale, à la fois grave et légère, heureuse et malade, comme noyau d'un film bâtard qui nous perd en différents registres ; qui part de l'illusion d'un film d'aventures enfantines (illusion soutenue par la promotion et par l'affiche-même du film) pour s’appesantir sous la personnalité grave d'un enfant surdoué, sur un ton oscillant, une vibration incertaine, entre l'aventure possible et le drame voisin ; qui tombe soudain dans le tragique extrême, larmoyant ou touchant selon les sensibilités, mais définitivement lourd cette fois, inattendu et arbitraire, et pourtant si juste dans les émotions qui malmènent ses personnages ; et puis qui s'envole de nouveau dans son atmosphère paradoxale, bancale, se retranchant dans un semblant d'aventure américanisée, le sniper à la main, la justice dans les yeux, pour tenter de réparer son noyau brisé, ses personnages fluctuant qui ne savent plus qui ils sont, quelle place prendre, à l'image du film entier qui brouille ses identités dans la tragédie familiale d'une mauvaise distribution des rôles. Un film bâtard, définitivement, mais de manière si logique, au fond, puisqu'il suit la trajectoire de transformations nécessaires.
Henry n'est pas le génie de l'histoire. Henry est bien trop grave. Henry ampute sa mère de ses responsabilités. La mère n'est pas le génie de l'histoire. Elle est bien trop immature, elle ampute malgré elle son génie de fils de son enfance. Peter est le véritable génie de cette histoire où demeurer ordinaire et tenir sa place demande une intelligence naturelle forte ; les autres personnages sont en orbite autour de ce qu'il incarne, de son enfance, de son innocence, de sa fragilité. Il porte en lui-seul l'enfance commune qu'il partage avec son frère ; et sa mère est une mère à ses yeux. Les cartes ont beau être maladroitement distribuées, en son cœur, déjà, il les redistribue. Le film traverse le drame pour donner corps à cette redistribution, pour cela Peter en est l'essence - et les dernières scènes le révèlent ô combien joliment. La mère des enfants doit retrouver un enfant en Henry (comme Henry a toujours cherché, mais en vain, les adultes dans les adultes), ainsi doit-elle retrouver une mère en elle-même.
The Book Of Henry porte fièrement ses maladresses ; c'est un film de repères brisés, pris dans le cheminement paradoxal de sa propre reconstruction ; mais surtout, c'est le film d'une révolution parfaite autour d'un besoin fondamental, d'une fragilité ultime portant son miroir dans le regard d'un enfant ordinaire, heureusement ordinaire, qui ne peut jouer que son propre rôle.