Découvert dans le cadre d'une Cinéxpérience organisée par senscritique, où l'on ne sait rien du film avant sa projection, je dois dire que ce film est une énorme claque. Il y a ces films dotés d'un synopsis tellement simple qu'il tient de l'évidence, où les personnages dépassent simplement le cadre de leur histoire pour nous toucher profondément et induire une réflexion intense sur la nature humaine et notre rapport aux autres. Des films qui me prennent aux tripes et où le cadrage soutient l'histoire, dans lesquels le message est vibrant de simplicité et d’ambiguïté. Ces films qui nous font poser des questions sur comment nous percevons le monde tous les jours et qu'est-ce qui définit la réalité. The Captain fait partie de ces films pour moi.


On est d'abords décontenancé aux premières minutes, ce noir et blanc aux contrastes marqués donne un aspect irréel à la situations, nous sommes quelque part en Allemagne, 2 semaines avant la fin de la guerre. Des officiers soûls, à bord d'une petite jeep, poursuivent joyeusement un déserteur à bout de souffle en lui tirant dessus. Le héro, jeune homme salit par la guerre et la terreur qu'il a vécut réussit à s'échapper. Les cadres sont serrés, de nombreux travellings poursuivent l'action et on est immédiatement mis au cœur de l'horreur et de cette indifférence cruelle envers un autre être humain, propre au contexte de guerre. Les désertions sont monnaies courantes à quelques jours de la fin de ce conflit, et ces soldats abandonnés sont traqués et sommairement exécutés pour quelques vols.


C'est avec la découverte d'un uniforme de capitaine que le jeune homme trouvera son salut. Pour rester en vie, il va adopter cette attitude de général et complètement se fondre dans la personnalité des cadres du système qu'il fuyait quelques heures avant. On sent immédiatement le revirement brutal de personnalité avec la rencontre avec cet autre déserteur. Le jeu de pouvoir est en faveur du pseudo-capitaine, qui laissera le soldat se soumettre de lui-même à son commandement, son comportement étant dicté par la machinerie impitoyable du jeu de grade. C'est à partir de ce moment que l'illusion commence, et ce sur quoi reposera une grande partie de la tension du film, jusqu'à quand notre héro tiendra-t-il avant de se trahir ? Tout le film repose sur cette tension et ce respect induit par la tenue, la diction, l'uniforme, qui donne plus de droits que n'importe quel fait d'arme ou expérience. Le faux capitaine ne va cesser de nous éblouir par sa capacité d'adaptation, tel Leonardo Di Caprio dans Attrape moi si tu peux, il va convaincre par son attitude et son maintient tous ces militaires croisés, puis ses égaux théoriques en commandement et même grimper au-dessus de sa hiérarchie pour prendre des décisions impitoyables envers ceux qui étaient dans la même situation que lui. Sa dévotion feinte va permettre à l'armée de régler des problèmes que même des généraux expérimentés n'osent régler, et c'est par delà le mal que le héro, complètement métamorphosé, va assurer son salut.


Pour se maintenir en vie et qu'il ne soit pas démasqué, le faux capitaine va adopter une attitude extrême et assurer une autorité purement illusoire qui arrive à marquer des moments de tension d'une maîtrise impitoyable avec ces longs silences, le jeu de pouvoir, et des regards qui parlent plus que les mots. La caméra à l'épaule en plan serrée sur ces visages fait sentir la fondation bancale de cette autorité au départ. L'usurpateur est par bien des fois à la limite de se faire démasquer, mais à chaque fois, les opposants se rendent compte qu'ils ont plus à gagner en se soumettant aux ordre impitoyables de ce capitaine, avec cette volonté d’efficacité et cette inhumanité machinale propre à l'armée nazie durant la seconde guerre mondiale. Comme si le fait d'assurer le maintien et la diction de celui qui a les compétences nécessaires sans avoir aucun fait d'armes ni aucune légitimité permettait de justifier une violence inhumaine. Cela fait écho à notre manière de se comporter aujourd'hui, où l’apparence et l'assurance compte plus que les actions passées et le point de vue moral des personnes pour grimper en société. Qu'est-ce que le mérite, et d'où les généraux tirent donc leur pouvoir s'il est possible qu'un soldat inexpérimenté de 21 ans, déserteur, ait des capacités de commandement et démontre une cruauté supérieure aux colonels plus haut gradés ? Au delà de sa capacité d'adaptation formidable, c'est une question sur la nature de l'acceptation de l'autorité par l'humain qui est posée.


La force des événements peux pousser un homme dans ces retranchements les plus profonds, c'est la lutte du mal par le mal. Tout comme le fort contraste de l'image, on est frappé par le contraste entre les différentes situations. La guerre justifie la célébration et la fête après le massacre de prisonniers, l'assassinat d'un maire, un bombardement anglais soudain ou encore une exécution sommaire sans forme de procès. Ces moments de joies après les horreurs m'ont plus perturbé que les scènes de violence extrême. Cela m'a fait pensé à la fin d'Irréversible de Gaspard Noé, où l'on prend les sentiments de dégoût et le choc, que l'on retourne contre le spectateur à la vue d'une scène joyeuse. Ces scènes s'enracinent dans l'esprit et détachent ces personnages de l'image de monstres, en accentuant l'horreur de leurs comportements passés.


La brutalité des images et le cadrage impitoyable, soutenus par la mise en scène d'une grande inventivité, appuient l'horreur et ne tombe jamais dans le pathétique ou le larmoyant en conservant un élan épique et un souffle propre aux grands films. Le travail sur le son est également impressionnant avec ces moments de silence où l'autorité fébrile pèse et l'on comprend tout le pouvoir d'un spectateur qui partage un secret connu du seul héro. La musique, principalement composée de nappe de sons vrombissants, accentue le malaise et l'impression de décalage avec la réalité. Le cri intérieur suivant la première exécution n'est que la première étape de la lente escalade vers l'enfer.


The Captain, c'est l'arrosé qui devient l'arroseur, le condamné qui devient bourreau, la force des événements qui pousse un homme dans ses retranchements les plus extrêmes, jusqu'à dépasser ses adversaires en cruauté pour survivre. C'est l'ironie insupportable du mal pour guérir le mal et survivre. C'est quelqu'un qui souffre, qui se prend dans un engrenage insoutenable, qui ne supporte pas la vue des prisonniers battus, qui pousse un cris intérieur à la première exécution, mais qui finit par dépasser ce qu'il était et contrer sa propre nature pour survivre et se transformer en l'outil de la force qui l'a détruit. C'est un homme qui rejoint cette machine humaine impitoyable où l'autorité entière et le droit de vie et de mort sont dominés par les apparences. Où les fait d’armes sont des massacres et l’héroïsme est une force destructrice, où le bien et le mal disparaissent au profit de la survie, l’automatisation de l’homme dans un monde qui ne lui laisse aucun choix. C’est un film en totale rupture avec le ton et la mise en condition habituelle du spectateur. C’est une claque visuelle avec ces noirs et blanc magnifiques, une secousse morale avec cette escalade et ces situations tellement vivantes et actuelles qu’elles en vibrent d’intensité, c’est une fable humaine sur la déchéance et le pouvoir des apparences.

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le 13 mars 2018

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