The Crossing
6.2
The Crossing

Film de Bai Xue (2019)

Genèse d’une shuihuoke (contrebandière)

Avec ce premier long-métrage Bai Xue, la réalisatrice, voulait rendre compte de la situation que vivent au quotidien les enfants transfrontaliers au Sud-Est de la Chine. Pendant deux ans, elle a ainsi fait de nombreux allers-retours, entre Shenzhen (Chine continentale) et Hong Kong (ancienne colonie britannique), et a accumulé des interviews de douaniers et de revendeurs de téléphones contrefaits, afin de préparer son film The Crossing. Selon elle, les personnes immigrant chaque jour d’une rive à l’autre, donnent l’impression embarrassante de n’avoir pas de véritables attaches, mais une identité complexe à assumer en société, position dans laquelle Bai Xue se reconnait.


C’est avec une approche quasi documentaire que la réalisatrice s’est emparée d’un fait réel qui se produit depuis des années : le trafic de smartphones de la marque à la pomme. Pour celles et ceux qui ne seraient peut-être pas au fait, un petit récapitulatif s’impose, pour saisir les tenants et aboutissants de cette pratique frauduleuse que le récit ne prend pas la peine de contextualiser.


Avant 2018, soit avant d’être en guerre commerciale, d’appliquer mutuellement des droits de douane de plus en plus importants, et de boycotter la majorité des produits importés pour favoriser les marques locales, les États-Unis et la Chine, alors les deux premières économies mondiales, marchandaient de manière plus ou moins cordiale.
En somme, avant 2018, la clientèle chinoise, fan des produits Apple, était prête à tout pour en posséder, avant que la marque ne soit prohibée et détrônée par sa rivale made in China : Huawei.
Cette petite parenthèse d’éco étant faite, entrons dans le vif du sujet.


Dans son uniforme d’écolière vichy, Liu Zipei aka Peipei, bubble tea à la main et cheveux sagement noués, fantasme à l’idée de partir découvrir Tokyo à Noël avec sa meilleure amie Jo. Cette dernière s’imagine déjà s’installer dans un café hors de prix avant d’aller se baigner dans les sources chaudes, l’autre souhaite simplement pouvoir contempler des flocons de neige.


Alors qu’elle vient d’avoir seize printemps, et qu’elle pourrait, comme Jo, profiter de sa jeunesse dorée pour s’amuser le cœur léger, Peipei doit quant à elle réunir assez d’argent pour espérer réaliser ce projet de voyage. Elle ne peut malheureusement pas compter sur l’aide de ses parents séparés, puisque son père galère au sein de sa petite entreprise hongkongaise, et que sa mère dépense toutes ses économies à jouer au mahjong. Le recel de coques de smartphones que Peipei vend entre deux cours, ainsi que son job étudiant ne suffiront pas, il faut voir plus grand et se frotter au danger.


Alors qu’elle s’apprête à traverser la frontière pour regagner Shenzhen, un jeune homme croisé plus tôt en soirée lui confie inopinément plusieurs iPhones pour échapper au contrôle des douaniers. Il la charge de livrer les smartphones à sa place en Chine continentale. Elle n’a pour cela qu’à passer la frontière. Avec son look de lycéenne et son air innocent, elle ne risque pas grand chose. Personne ne peut la suspecter de participer à un important réseau de contrebande, géré d’une main de maître par Mme Hua (Kong May Yee Elena).


Sous la coupe de Hoa (Sunny Sun), le petit copain de Jo, toujours bienveillant à son égard, Peipei va rapidement prendre ses repères dans ce monde nocturne, et parvenir à amasser une somme d’argent suffisante pour réaliser son rêve avant d’être rattrapée par la réalité.


Bien que conçu à la manière d’un film documentaire, The Crossing coche pourtant bien la case fiction, en entremêlant récit initiatique, drame social et thriller. En suivant les déambulations répétitives de l’intrépide Peipei avide d’indépendance, Bai Xue dresse sans manichéisme le portrait d’une effrontée aussi délicate que déterminée, tout en inscrivant son récit dans le contexte géopolitique actuel.


À l’image de la double vie de Peipei qui passe sans arrêt d’un côté de la frontière à l’autre, le calme qui règne dans l’appartement familial lumineux contraste avec les lumières vives qui éclairent un Hong Kong grouillant de monde, et que de vifs mouvements de caméra viennent souligner.


Avec ses traits fins et son petit rire discret, Peipei (Huang Yao, récompensée du prix de la meilleure actrice au PYFF) reste pourtant malheureusement trop souvent insaisissable et effacée, dans l’ombre de Jo, ou noyée dans la bande de revendeurs. Je regrette que Peipei ne prenne pas davantage la lumière, comme c’est le cas pendant une séquence vermillon éblouissante. Seule avec Hao dans une petite pièce moite éclairée par un néon rouge, les deux passeurs dévoilent leur corps afin d’y fixer des smartphones. Le trouble se crée alors entre eux, mais il leur faut rester focalisés sur le business à venir.


Les trop nombreux arrêts sur image accompagnés d’un unique riff de basse lourdaud, censés mettre en exergue chacune des prouesses de Peipei, servent la construction dramaturgique, et donc l’intrigue liée à la contrebande, à défaut de caractériser cette héroïne candide, trop rapidement esquissée comme le sont également ses parents.


Déshumanisés par cette société capitaliste qui les dépouille, les personnages manquent de corps et deviennent des caricatures, hystériques ou courroucées, même lorsque la poésie de certains moments suspendus les effleure.

Allin
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le 4 août 2020

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