And some very strange birds are going to emerge

Par son synopsis détonnant, le premier long-métrage de Peter Greenaway a de quoi faire hausser les sourcils de plus d'un.
Il est sûr qu'en l'observant à posteriori, sa filmographie est riche en éléments cinématographiques non identifiés. Est-ce que cela rend pour autant The Falls prévisible ?


Le film se présente comme la succession de biographies de quatre-vingt douze personnages affectés par le VUE (Violent Unknown Event). Derrière cet acronyme se cache une catastrophe inexpliquée survenue une nuit soudaine, entraînant nombre de conséquences singulières pour la population terrienne. Certains se trouveront affublés d'affections physiques handicapantes plus ou moins absurdes, comme une réabsorption des seins par le corps ou un saignement de nez permanent. D'autres se mettront à parler des langues inconnues et développeront une passion pour le naturisme et les cerfs-volants . Tous enfin contracteront une obsession plus ou moins marquée pour les oiseaux.


Parmi les quelques millions de personnes concernées par l'évènement, nous n'aurons le droit ici qu'au listing de seulement 92 victimes, dont le nom commence par "Fall". La seule forme de transition entre chaque biographie sera un insert musical indiquant le numéro de la personne et son nom. La musique de Michael Nyman accompagnera cette cascade de portraits avec brio, de par le caractère martelant et hypnotisant de ses mélodies.


Et la première question que l'on se pose c'est sûrement celle-ci : le film est-il véritablement regardable, de par son concept et sa durée excessive ?


Je ne saurais vous donner d'autres impressions que les miennes, et décrire comment j'ai trépigné d'enthousiasme tout au long du festival de créativité qui se jouait devant mes yeux. "The Falls" est un pseudo-documentaire en tant qu'il contrevient à toute volonté d'accessibilité, d'explication ou d'exhaustivité. Le film ne mise que sur la description pure et simple, laissant la responsabilité au spectateur de joindre les minces bouts de ce qu'il capte pour se fabriquer une théorie.


Greenaway le dit lui-même dans la présentation de son film : il a toujours été fasciné par les encyclopédies ou les annuaires, en tant qu'ils "unissent en un seul endroit autant les anges du ciel que les pierres de la route" (souvenons-nous des encyclopédies universelles de Prospero's Books). C'est tout un univers et sa mythologie que le film se propose de nous montrer, mais par fragments seulement. Cette façon d'attaquer l'immensité par l'excessif est jubilatoire de par la mise en scène extrêmement sophistiquée de Greenaway : rien ne semble laisser au hasard dans le choix des cadrages, de la photographie ou du son. Tout semble servir un dessein, sans que la clé du roman ne nous soit communiquée. La nonchalance dans la narration renforce l'inquiétant réalisme du film : en décrivant l'absurde avec désinvolture, celui-ci gagne en relief, là où une accentuation sur son caractère anormal casserait tout espoir de le prendre au sérieux. The Falls devient un jeu de piste dès que les éléments communs, tels des archétypes, nous apparaissent au fil des portraits.


C'est presque 92 courts métrages que l'on nous propose. 92 façons d'aborder la chute de l'homme, en tant que celui-ci s'est brûlé les ailes en voulant défier les Dieux. Si les listes sont faites pour juxtaposer des éléments ayant au moins une caractéristique en en commun, le caractère imprévisible du VUE nous amènera à considérer la possibilité d'une clinique de celui-ci, c'est-à-dire d'un art de la singularité en tant qu'il ne suffit pas d'accumuler les adjectifs pour prétendre décrire quelqu'un de manière exhaustive.


A quoi donc peut bien servir l'accumulation ? Est-elle une défense face à notre destin commun, à savoir la mort ? Le quantitatif peut-il vaincre le qualitatif ? Le VUE donnera l'immortalité aux protagonistes du film, en échange de leurs infirmités. Certains seront partagés entre le désir de mettre fin à leurs jours, de par le fardeau que représente leur corps souffrant, tout en entretenant le frisson que représente l'expérience de l'immortalité. Introduisant ses obsessions au rang d'objets d'arts filmiques, Peter Greenaway cherchait-il ici à défier son destin ? The Falls est une première ébauche de réponse.

Mellow-Yellow
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Peter Greenaway deviendra-t-il mon dieu ? et Les meilleurs films de plus de trois heures

Créée

le 20 mars 2019

Critique lue 439 fois

7 j'aime

Mellow-Yellow

Écrit par

Critique lue 439 fois

7

D'autres avis sur The Falls

The Falls
arthurdegz
7

Des oiseaux et des hommes

The Falls se base sur la vie de 92 personnes pour nous raconter une histoire globale qui tient du fait historique. Peter Greenaway a fait quelque chose d'assez particulier pour son premier film, les...

le 1 août 2022

2 j'aime

Du même critique

What’s Going On
Mellow-Yellow
10

"I go to the place where danger awaits me. And it's bound to forsake me."

C'est quand même incroyable qu'un tel album n'ait pas encore de critique dithyrambique à son égard. 8.0 de moyenne SC, classé 6ème meilleur album de tous les temps par Rolling Stone, dotée d'une...

le 29 janv. 2014

76 j'aime

20

Philadelphia
Mellow-Yellow
8

"It's like Seinfeld on crack"

"It's Always Sunny in Philadelphia" est une série assez atypique lorsqu'on s'y attarde. Si on ne prend que son synopsis, c'est une sitcom stéréotypée comme il en existe des dizaines : une bande de...

le 9 mars 2014

36 j'aime

Luv(sic) Hexalogy
Mellow-Yellow
9

It's funny how the music put times in perspective

Treize années s'écoulèrent entre la naissance de "Luv(sic) Pt. 1" et la publication de la sixième et dernière partie, "Luv(sic) Grand Finale", jusqu'à la publication en CD deux ans plus tard. De...

le 9 févr. 2018

32 j'aime

11