Joreige et Hadjithomas sont tous deux nés en 1969. Ils n'ont donc pas connu pour de vrai ce qu'ils racontent dans Lebanese Rocket Society. Et c'est par hasard, et assez récemment qu'ils en ont entendu parler. Tout le monde au Liban, et ailleurs c'est bien pire, a oublié cette incroyable histoire. Au tout début des années 60, quelques étudiants et un prof d'Université libanais tous originaires d'Arménie (il y eu un grand exil Arménien au Liban au début du Siècle) ont une idée folle : créer une fusée et l'envoyer dans l'Espace. ça commence dans un jardin et la fusée fait deux mètres avant de se vautrer, c'est tout au plus un pétard de fête Nationale. Mais ils ne se découragent pas et peu à peu construisent des fusées de plus en plus performantes. Ils font tout eux-mêmes, y compris leur combustible qu'ils fabriquent, malaxent, comme on prépare les ingrédients d'un gâteau. Ils arrivent désormais à envoyer leur fusée jusqu'à Chypre, provoquant même un sacré incident diplomatique.
Conscients du rayonnement que ces inventeurs offrent à leur pays, l'armée, puis le gouvernement décident d'investir et de les aider en offrant des capitaux. Pire, l'armée avait fomenté en secret d'utiliser ce rêve doux dingue pour des invasions de pays limitrophes (dont Israël). L'université joue le jeu et ça devient énorme. Enfin, ça aurait pu. A la fin des années 60, alors que Cedar VIII vient d'être envoyée à plus de 600km dans l'espace, on leur somme d'arrêter toutes affaires cessantes. ça devenait trop gros, trop dangereux, c'était un vrai souci diplomatique, et de nombreux pays ont fait pression que le rêve de ces astronautes en herbe s'arrête.
C'est cette histoire formidable que racontent les deux cinéastes, dans un documentaire on ne peut plus sérieux, mais aussi avec plein d'humour détaché, parfois pas si éloigné d'un Luc Moullet.
Mais le film ne s'arrête pas là. Hadjithomas & Joreige (qui, je le rappelle, avaient avec Je Veux Voir signé le plus beau film de l'année 2008) sont des cinéastes et des plasticiens avant tout. Ils n'allaient pas se contenter de simplement, même si magnifiquement, raconter cette histoire. Ils ont eux aussi une idée folle : comme tout le monde a oublié cette histoire, ils vont en laisser une trace, en plus du film. Ils décident de reconstruire à l'identique Cedar IV, la plus emblématique, 8 mètres de long, et d'en faire un monument commémoratif dans la cour de l'Université où est né The Lebanese Rocket Society. Ils le font, ce n'est pas un problème. Mais ils se sentent obligé de demander des autorisations, notamment pour la transporter, car tout le monde pense que c'est une arme, un missile aérien. En plus de ça, Rocket signifie à la fois Fusée et Missile en anglais et en libanais. Une autorisation en entrainant une autre, ils se lancent dans un véritable marathon à l'issue heureuse, qui les amènera jusqu'aux plateaux TV des émissions populaires de leur pays pour expliquer le projet. La fusée est alors érigée. Mais le film n'est pas encore fini.
S'ouvre alors la partie imaginaire, et la forme du film devient un dessin animé. Il montre ce que serait devenu le Liban si cette conquête spatiale n'avait pas été tuée dans l’œuf. On y découvre un pays prospère, riche, heureux, en paix, tout ce que le Liban n'est plus.
Chacun des films d'Hadjithomas & de Joreige que j'ai vu est différent du précédent, et à chaque fois il est excellent. Ces deux cinéastes sont parmi les plus intéressants et les plus innovants du cinéma contemporain. Leur oeuvre est riche, dense, interroge le monde moderne sur des questions fondamentales et notamment sur la notion de territoire. Leur dernier film est évidemment super mal diffusé. Essayez, si vous en avez la possibilité, de le voir, ne tardez pas, je ne sais même pas s'il sera encore à l'affiche mercredi prochain.
NB. Mon ami Joseph Ghosn alias Discipline signe une nouvelle fois un morceau de la belle BO.
FrankyFockers
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le 10 mai 2013

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