Le film d'espionnage est un genre cinématographique particulier dont James Bond avait donné le «la » dans les années 60 avec "Goldfinger". Jolies pépées court vêtues à longues jambes haut croisées et décolletés à vous donner le vertige, salopards cyniques et impassibles avec les gueules de l'emploi, enjeux simples où le mal est combattu par un beau gosse en habit de lumière qui terrasse autant les pépées que les brutes épaisses. L'épilogue se joue toujours très dénudé, une coupe de champagne à la main et les yeux égrillards.


Puis la guerre froide devint l'enjeu. Les pépées se firent plus rares et surtout de moins en moins pépées tout en gardant certains charmes, les salopards étaient toujours très brutes épaisses arborant les gueules de l'emploi mais désormais certaines d'entre elles étaient dotées d'une cervelle. L'incarnation du bien se professionnalise, il y a de la géopolitique dans l'air et un sens plus affirmé des intérêts de la patrie. Lino Ventura, Jean Paul Belmondo, Paul Meurice, Yul Brynner, Cary Grant, Roy Scheider et Robert Redford s'y colleront avec subtilité et densité.


Puis nous avons connu l'auto-dérision, la vraie. Plus distrayante que le second degré distillé plus tard dans la série un peu franchouillarde "Au service de la France". Jean Dujardin dans "OSS117, Le Caire nid d'espions" a mis un terme à ce que Jean Paul Belmondo avait initié une décennie plus tôt dans "Le Magnifique". La récréation est terminée car point trop n'en faut. Le cinéma n'est pas seulement là pour distraire, il doit également édifier et le film d'espionnage est le moyen le plus efficace pour rendre crédible et faire partager la politique d'un gouvernement au plus grand nombre.


A l'heure de la mondialisation, de la redistribution des cartes qui a suivi la chute du mur de Berlin et du moment de latence qui a suivi l'effondrement de « l'empire du mal », les enjeux se renouvellent, se démultiplient, se complexifient autant que les protagonistes se diversifient . Les jolies pépées aux jambes interminables cèdent le pas aux femmes de tête adeptes de close-combat mais bardées de diplômes. Fini les agents secrets déguisés en sauveurs suprêmes , se déplaçant en voiture volante ou invisible et armés de stylos à encre mitrailleurs. Place aux têtes bien faites maniant le premier et le second degré avec des incursions dans la troisième dimension, décodant avec agilité le sens des évènements et pratiquant volontiers le billard à bandes multiples.


La puissance et la pertinence de l'intrigue, la subtilité des interactions prennent désormais le pas sur les courses poursuites en voitures rapides, les fusillades et les empoignades viriles. Désormais les espions, les contre-espions, les clandestins, leurs référents et même les cibles ont une âme donc des états d'âmes, des sentiments humains et parfois même des doutes et des inquiétudes.


L'année 2004 est marquée par la diffusion de la première saison de la série britannique MI-5 . Cette série est une bonne illustration de cette ère nouvelle, elle renoue avec la dynamique de l'excellent "Les trois jours du Condor" de Sydney Pollack qui date déjà de 1975. Il faudra attendre 2015 pour qu'une série française "Le bureau des légendes" d'Eric Rochant s'inscrive dans ce renouveau du film d'espionnage. Entre deux, " Spy game "de Tony Scott nous avait distrait quelques instants en compagnie de Robert Redford et de Brad Pitt sur fond de CIA.


"The operative" est un film sur l'espionnage et les vicissitudes de cette activité complexe. Rachel est allemande, Thomas est britannique. Thomas est l'officier traitant de Rachel. Dans le dispositif clandestin que le Mossad israélien a mis en place pour agir en Iran, Rachel est the operative, c'est à dire la pièce fonctionnelle d'un dispositif qui permet que l'opération projetée puisse avoir lieu. Rachel et Thomas ne sont pas israéliens mais ils ont en commun le fait d'avoir chacun un aïeul juif ce qui a motivé leur rapprochement avec une cause et leur utilisation par le Mossad pour une opération en Iran. Si les raisons de leur recrutement sont évidentes, les motivations profondes d'une allemande et d'un anglais se rapprochant du service secret israélien sont peu crédibles.


L'Iran est un pays cadenassé dans ses frontières avec une police omniprésente et une suspicion sans faille envers tout ce qui est étranger. Cela rend toute infiltration extrêmement difficile. Ce qui relève de l'activité des services secrets étrangers est dès lors confié à des individus « vierges », insoupçonnables mais avec l'inexpérience comme corollaire.


Rachel s'implante comme professeur d'anglais à Téhéran, ville qu'elle apprend à aimer. Elle vit parmi une population dont elle comprend et parle la langue. Sa mission est d'entrer en contact avec un industriel iranien et de favoriser l'acquisition de composants électroniques auprès d'une société allemande désireuse de commercer avec l'Iran malgré l'embargo. Le Mossad entrevoit là une possibilité de remplacer ce matériel par des composants frelatés pour corrompre le programme nucléaire iranien.


La mission ne se déroulera pas comme prévue en raison d'un attentat à Téhéran qui révulse Rachel ce d'autant plus qu'elle a apporté sa contribution en acheminant les explosifs. Les deux cercles relationnels qui ne doivent jamais interférer que Marie Jeanne Duthilleul évoquait dans le "Bureau des légendes" sont l'autre cause de l'échec car justement ils ont interféré.


Rachel disparaît volontairement, ayant compris qu'elle a été manipulée. Elle reprendra contact pour tenter de faire libérer son ami iranien, frère de sa cible, en offrant son silence contre cette libération. Le Mossad charge Thomas, son ancien référent et qui lui-même avait pris ses distances, de la raisonner. Le marché que Rachel propose est non négociable. Le Mossad décide de l'exécuter. En cela il est comme tous les services de renseignement du monde : il se débarrasse des opérationnels qui ne lui servent plus ou sont une menace s' ils ne sont pas israéliens.


"The operative" est un film d'espionnage conventionnel avec tous les ingrédients du genre. Du dosage des enjeux dans l'air du temps au stéréotype des protagonistes plus ou moins sympathiques et toute la palette des acteurs sur le terrain. Qui sont les gentils et qui sont les méchants ? C'est le cynisme le plus total qui est au poste de commande mais le facteur humain restera toujours le grain de sable qui grippe les mécanismes les plus perfectionnés. C'est ce facteur humain qui remet également de ... l'humanité dans une mécanique qui devient facilement incontrôlable pour devenir une machine à broyer.

Freddy-Klein
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le 6 août 2019

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Freddy Klein

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