THEEB (16,2) (Naji Abu Nowar, JOR, 2016, 100min) :


Ce splendide récit d’aventure suit le destin d’un jeune garçon de 10 ans surnommé "Theeb" dans la péninsule Arabique en 1916, sous l’occupation britannique, où en plein cœur du désert sous l’aile protecteur de son grand frère il vit dans un campement bédouin. Le scénariste et réalisateur jordanien Naji Abu Nowar formé en Grande-Bretagne parcourt les festivals depuis plus de deux ans avec son premier long métrage, récoltant au passage dans la sélection l’Orrizonti (horizons) le prix de la meilleure réalisation à la Mostra de Venise en 2014 avec cette épopée au milieu de la vallée Wadi Rum en Jordanie. Arrivée enfin en France avec une flatteuse réputation est en lice pour accéder à la prestigieuse liste des nominés aux Oscars du meilleur film étranger 2016, le film est largement à la hauteur de nos attentes. Le générique entame le récit par un magnifique poème arabe, comme une ode à la vie et un adage destinés au jeune "Theeb". Surnom attribué à la naissance signifiant « loup » en bédouin, animal aussi admiré que craint et qui incite à une certaine grandeur et courage pour celui porteur de ce lourd héritage nominatif. La mise en scène propose d’emblée de nous décrire la vie quotidienne de l’enfant accompagné par son frère, notamment puiser l’eau du puits pour donner à boire aux chameaux et autres rites d’éducation qui vont du maniement du couteau aux tirs au fusil. Le réalisateur offre une maîtrise du cadre en scope absolument admirable pour accompagner le point de vue de l’histoire à travers le regard de l’enfant. L’intrigue prend corps lors d’une nuit où dans le noir le plus complet un individu vient s’approcher en silence du feu de camp, cet homme inconnu n’est autre qu’un officier anglais en pleine guerre contre les Ottomans, puisque l’empire britannique rappelons le colonise cette zone géographique entre la Transjordanie (qui deviendra plus tard l’Arabie saoudite) et le chemin vers La Mecque. Que faire face à l’ennemi ? Les us et coutumes ancestraux de la culture bédouine par sa tradition ne peut refuser l’hospitalité à un étranger ou toute autre personne débarquant devant votre tente pour réclamer refuge et protection. C’est la loi du Dakheel un devoir sacré obligeant l’hôte à protéger son « dakheel » quelques que soient les circonstances. La caméra dès lors montre le regard de l’enfance se noircir devant la problématique morale du monde des adultes et elle nous propose une aventure plus épique lors d’une mission accepter par le grand frère de "Theeb", guider l’officier anglais dans un périple dangereux. Fort de somptueux décors encore habité par le fantôme de Lawrence d’Arabie (1962) de David Lean le scope nous offre des paysages absolument grandioses avec une profondeur de champ, un espace ouvert où la narration minimaliste et âpre confine au récit initiatique et la quête d’un puits convoque une épopée légendaire et mystique. Entre paradis géographique et enfer des hommes, le garçon dans un scénario linéaire mais parsemé de pistes de traverses va suivre la perte des illusions engendré par la naissance d’une maturité du jeune « Theeb » au fur et à mesure des rencontres et des épreuves. L’intrigue minimaliste prend des allures de western léonesque (vie de nomade, gangsters, désert, étranger, armes à feu et chemin de fer..). Les dialogues deviennent plus rares et les situations plus tendues et héroïques, les pulsions de vie et de mort ne cessent de s’affronter, et l’apprentissage de la loi du plus fort « le fort mange le faible » prend corps. Tel le jeune John Mohune dans le remarquable Les contrebandiers de Moonfleet (1955) de Fritz Lang sortant peu à peu de son cocon le jeune Theeb va quitter peu à peu son innocence pour survivre face à un ennemi venu d’un autre monde. Ce récit au rythme chaloupé de chameau invite à la contemplation et les rebondissements rugueux (formidables scènes d’oasis, de puits) et d’affrontements et fusillades se font sans pleurs ni cris, juste la dureté et la dignité des hommes soumis à la survie face à la mutation d’un monde. Une œuvre qui ne manque pas d’ère, au milieu de cet espace s’apprêtant à tourner la page de l’ancien monde. Tout au long du parcours la caméra nous permet de nous attacher au jeune héros se transformant sous nos yeux jusqu’à la sidérante dernière scène. La puissance du dernier plan amplifie la mélancolie sous-jacente de cette épopée de sable et de sang sans dans une parabole sans dramatisation superflue, juste de l’épure poétique comme un voyage au bout de soi ouvrant vers un nouveau océan de sable où d’autres possibles attendent. Tous les interprètes amateurs proposent une qualité d’interprétation d’un réalisme saisissant notamment le débrouillard Jacir Eid au regard si profond et au naturel de jeu étonnant dont sa présence illumine la sublime photographie de Wolfgang Thaler. Pour rajouter à la magnificence du projet la superbe partition lyrique de Jerry Lane porteur de rêves emporte notre âme au-delà du désert. Venez découvrir une attachante quête identitaire à travers le parcours romanesque de Theeb, la naissance d’un chef. Superbe, intense et tragique. Coup de cœur pour ce coup de « maître ».

seb2046
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le 2 déc. 2016

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