Thelma & Louise fait parti de ces films qui ont un mythe ancré à eux, dans un premier temps par le bouleversement qu’ils ont été à leur sortie, et dans un deuxième temps par leur inscription au sein de l’histoire du cinéma depuis leur sortie.

Thelma & Louise s’inscrit dans une période de la carrière de Ridley Scott qui n’est pas évidente. A l’exception d’Alien, tous ses films sortis jusqu’alors ont été plutôt des échecs, c’est un réalisateur boudé par la critique, décrit comme un « faiseur visuel sans talents ». Les années 90 et 2000 permettront cependant la renaissance de certains de ses films, comme Les Duellistes, Blade Runner et Legend. Au sortir de Black Rain (que j’apprécie d’ailleurs énormément), et de Traqués, témoignant d’une volonté de Scott de s’échapper de la catégorisation « réalisateur de genre », il s’engage sur la fresque routière qu’est Thelma & Louise, qui paradoxalement, s’inscrit autant dans la continuité de cette volonté qu’est en même temps un film de genres. Au pluriel.

A la base, demeure le scénario de Callie Khouri. Une échappée folle et libre à travers le grand territoire Américain de deux femmes en plein ras-le-bol existentiel. L’idée est de pouvoir inscrire le film en dehors des standards Hollywoodiens du buddy-movie. Et pour ce faire, le film en reprend et les transforme, dans l’idée d’une destinée toute autre. Au-delà d’être un film sur la complicité entre deux femmes, Thelma & Louise prend la direction d’être un film sur la destinée. La route symbolisant tant l’origine que l’arrivée, et l’évolution se faisant entre les deux, c’est la métamorphose des personnages sur ce chemin qui est au centre du film. Beaucoup se sont arrêté sur un certain caractère « anti-masculin » du film. A ceux-ci j’aimerais répondre « où ça ? », dans la mesure où l’écriture est assez riche pour contre-balancer en permanence les idées ou jugements avancés. S’il est évident que le mari de Thelma est un gros con, pourrait-on en dire autant du flic interprété par Harvey Keitel (presque à contre-emploi, dans la mesure où il était un « sale con » dans Les Duellistes, de Scott également), ou encore du mari un peu lourd mais aimant de Louise, interprété ici par l’excellent Michael Madsen ? Thelma & Louise se veut être un film juste et éviter les constats non-nuancés.

Beaucoup penseraient « pourquoi Ridley Scott pour ce film ? Pourquoi pas un Tarantino ? ». Parce que tout comme Tarantino, Ridley Scott a aussi souvent accordé dans ses films une place prépondérante à la femme. Inutile de citer Alien qui a sublimé la place de la femme dans le cinéma de genre à travers Sigourney Weaver, mais ce sont des choses que l’on retrouve également dans Blade Runner, Les Duellistes ou même Black Rain : ces femmes fortes, tantôt de pouvoir direct, tantôt de manipulation. La question ne se posait pas : Ridley Scott saurait filmer Thelma & Louise. Malgré la richesse du scénario, le film aurait pu se prêter, entre les mains d’un quelconque réalisateur, à un téléfilm NBC sur les grands espaces. Que nenni. Les plans sont soignés, et Scott sait sublimer ce qu’il est nécessaire de sublimer en tant voulu : Thelma & Louise, ou ce qui les entoure. Mais jamais l’un ne prend le pas sur l’autre. On retiendra une maitrise assez impressionnante des plans-grue et des travellings embarqués en voiture. La Thunderbird 1966, reine de la route, a aussi le droit à son lot de sublimation.

Thelma & Louise, comme je le précisais plus tôt, est un film où les genres se croisent. Drame, film policier, comédie, buddy movie, road movie et même Western se retrouvent en son sein. Mais jamais dans l’exagération ni dans la parodie, chaque genre s’insère dans un segment qui l’appelle logiquement. Si cette impression passe par la caméra de Scott et ses choix, elle se traduit aussi par la superbe photo d’Adrian Biddle (ayant auparavant opéré sur Aliens le Retour). Certains plans larges laissent quand même baba.

Au croisement de ces genres et de ces stylistiques, on retrouve également un certain Hans Zimmer. Armé de ses "légendaires" percussions, mais en plus de sa guitare électrique, il donne à Thelma & Louise une BO à la hauteur des grands espaces qu’elle traverse. Tel un chat qui miaule désespérément de faim et d’ennui dans le début des mélodies électriques, les sonorités de la guitare font renaitre une lueur d’espoir et de volonté de découverte, de la vie au sein d’une mélancolie musicale. Rise avant l’heure ? Qu’importe, Hans Zimmer savait encore toucher à des vrais instruments et composer une bande-son pas qu’uniquement avec les casseroles de sa cuisine (facile...).

Que serait Thelma & Louise sans son duo en tête d’affiche ? Ce qui fait la qualité de l’interprétation de Susan Sarandon et Geena Davis (bien que j’affiche une certaine préférence pour cette dernière), c’est avant tout une bonne écriture dialoguée, mais aussi une direction d’acteurs certaine de ses choix. Scott est connu pour savoir ce qu’il désire, et c’est là ce qu’il affiche à travers Thelma & Louise : l’évolution de l’interprétation s’accorde à celle des personnages sans fausse note. Orbitent autour d’elles Harvey Keitel, Michael Madsen et un Brad Pitt qu’il est agréable de découvrir, tout insupportable qu’il est sous ses airs de jeune premier (un peu comme quand on revoit la bouille de DiCaprio dans Titanic). La richesse de nombreux films de Scott, c’est son désir constant de s’entourer de second couteaux efficaces, (ce qu’on retrouvera par exemple des films comme Kingdom of Heaven ou Gladiator à la jolie brochette d’acteurs), et de savoir les diriger. Oui oui, même diriger Didier Bourdon dans Une Grande Année.

Je n’avais donc pas revu Thelma & Louise depuis maintes années. J’en gardais le souvenir d’un film sympa, mais rien de bien spécial. Ce nouveau visionnage m’aura amené bien des choses dans la compréhension d’un des cinéastes que j’apprécie le plus, à savoir Ridley Scott. Au-delà d’être un film culte (ce qui n’est pas toujours gage de qualité !), Scott arrive à proposer une véritable fresque, comme il en fera presque sa devise dans de nombreux films (et ce de 1492, réalisé juste après, à American Gangster). L’idéal cinématographique est grand, et c’est ce qui me plait. Comme la volonté d’aller au bout des choses dans Thelma & Louise, et de proposer un superbe final, qui n’a pas trop à rougir face aux finals des Duellistes ou de Blade Runner.

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le 29 oct. 2012

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Lt Schaffer

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