“At least we get a feel on it”

Le 07 juillet 2009, le Staples Center, l’antre des Lakers, des Kareem Abdul Jabaar, Magic Johnson, Kobe Bryant et Shaquille O’Neal, voit pénétrer sur l’air gospel Soon and very Soon le cercueil plaqué or de Michael Jackson. C’est ce même modèle de cercueil qu’avait salué l’artiste trois ans plutôt lors du décès de son mentor, James Brown. Le cercueil comme la retransmission en public des funérailles avaient pour le coup choqué Bambi qui y relevait un travers de la médiatisation, l’impossibilité de se recueillir dans l’intimité. Qu’aurait-il dit alors face aux pleurs, aux applaudissements et cette retransmission mondovision ? Le Staples Center donc comme ultime théâtre d’une trajectoire dantesque. Le Staples Center, seule salle dans l’ouest américain capable d’accueillir les répétitions et toute la logistique du final curtain call avant de s’établir à Londres. Le Staples Center est surtout le dernier arrêt du barnum Michael Jackson.


Néanmoins, on pourrait situer la "mort" de l’artiste à 2005. En décidant d’affronter Gavin Arvizo et sa famille lors d’un procès (une 1ère) dont il ressort blanchi (et très amoindri), en défiant l’opinion publique et médiatique face à des accusations que la famille Arvizo aura montée de toute pièce, Michael Jackson pense pouvoir restaurer son intégrité. Cependant, face à l’état délabré de Neverland (consécutif aux multiples perquisitions), l’artiste plie bagage et s’envole direction Bahrein. C’est Abdulla Hamad Al-Khalifa qui lui offrira "l’asile" et le repos nécessaire. Outre le fait de relancer les rumeurs d’une prétendue conversion de l’artiste à l’islam, les deux hommes en profitent pour signer un deal rattachant l’artiste à la maison de disque Two Seas Records. Un contrat qu’il n’honorera jamais. Il fuit de nouveau direction l’Irlande histoire d’y rencontrer Will.I.Am et de ressortir Thriller 25. Mais cette évasion perpétuelle a ses limites. Elle a le don de crisper créanciers et autres artisans du maintien de l’empire Jackson. This Is It n’est donc qu’au final la résultante d’un fabuleux coup de pression.


Car ne nous y trompons pas, l’artiste laisse en jachère son bunker, ses détracteurs, un pays/un marché où il n’a vraiment plus la côté, les Etats-Unis. Ses multiples apparitions en Europe et au Japon confortent un peu plus l’idée d’un artiste en nette perte de vitesse et qui n’hésite plus à "cachetonner" : aux NRJ Music Awards, à l’anniversaire de Christian Audigier…les exemples sont légions. In fine, l’enjeu principal autour de l’artiste reste son acquisition la plus judicieuse et la plus adulte, le catalogue des Beatles. Mais le montage financier autour de ce catalogue est tel qu’il permet à l’artiste de bénéficier d’une relative immunité par rapport à Sony et cie. Non obstant, la saisie de Neverland par Colony Capital met à mal l’impétuosité de l’artiste. En mettant en gage la demeure de Michael Jackson, ce dernier n’a d’autre choix que de se relancer.


Plusieurs promoteurs auront pourtant tentés de remettre l’artiste sur les rails d’une tournée. A des tarifs plus élevés et à des conditions similaires à Céline Dion, Las Vegas a tenté de faire de l’artiste un résident permanent. Mais tous se heurte à la même réponse. L’artiste dit s’être produit dans tous les plus grands stades (seule configuration pouvant accueillir selon lui son matériel), toutes les plus grandes scènes. Et il semble fatigué. Comment a donc fait Randy Phillips (PDG d’AEG) pour convaincre Michael Jackson de se produire dans la nouvelle arena londonienne ? Peut-être en lui disant qu’en s’y produisant, l’artiste battrait le nombre consécutif de sold-out détenu par…Prince. Ou peut-être en lui disant qu’il n’avait guère le choix.


L’idée est donc de remettre à flot l’artiste en produisant un show "jamais vu". Le film le montre assez fidèlement. This Is It, c’est près de 2h de show, de changements de costumes, de tableaux, de célébrations d’une carrière riche. Mais en "coulisse" rien ne se passe comme prévu jusqu’à l’issue joliment mise en image ce 7 juillet 2009.


Comme tous les fans, je me retrouve sur mon ordinateur, ce jour de mars 2009. Moins de 10 dates ont été annoncées. Et pour la 1ère fois les réservations pour un concert de Michael Jackson seront possibles via internet…oui mais en cliquant sur le site, me voici sur une liste d’attente composée de plus d’1 M de personnes…Tristesse. Puis euphorie lorsque le lendemain le site met en vente pas moins de soixante dates. C’est à ce moment précis qu’une cassure se fera entre Michael Jackson et ses fans. Jusqu’ici les fans nourrissaient une proximité avec l’artiste qui ne gênait en rien le promoteur AEG. Mais au lendemain de l’annonce de la prolongation de la tournée, c’est un Michael Jackson apeuré qui se présente auprès de ses fans. L’artiste évoque une "arnaque" et le fait de ne pas avoir signé pour autant de dates. Cette incrédulité sera relayée par les forums Jacksonien ce qui aura pour conséquence l’impossibilité dorénavant de communiquer avec l’artiste en sortant des répétitions, rupture décidée par AEG. Idem pour l’évaluation des capacités de l’artiste. Outre sa fragilité psychologique, Kenny Ortega (réalisateur de la tournée) émet des doutes sur les capacités physiques de Michael Jackson. Mais son manager de l’époque (le "docteur" Thome Thome) et le docteur chargé de le suivre le Dr Conrad Murray "rassurent" sur l’état de santé de l’artiste.


Ce décalage entre ce qu’a bien voulu nous montrer AEG, ce qui ne sera jamais vu et la perception des fans présents au moment des répétitions est peut-être l’essence de This Is It. En voulant rendre hommage, AEG a surtout trouvé un moyen d’amortir les coûts liés à l’annulation d’une tournée financée à coût de rallonge face aux exigences toujours plus délirantes de l’artiste. Le raisonnement est simple : en "pariant" sur Michael Jackson, les risques étaient au fond bien faibles tant les retombées étaient plus qu’assurées. Les records de vente pour l’ensemble des dates, les ruptures de stock niveau merchandising attestent de cette prise de risque calculée.


Dès lors, évoquer le fond et la forme de This Is It ne peut se faire sans mettre en parallèle les à-côtés et l’ambiance autour de l’artiste. Sur la forme, les téléspectateurs comme les suiveurs de l’artiste loueront l’abondance des rushs (une habitude de l’artiste qui filmait l’intégralité des répétitions et de ses tournées) qui donne l’impression finale d’assister à une générale. Mais la production doit faire face à la relative défiance de l’artiste et il n’est pas rare que des répétitions se fassent sans le protagoniste. Puis est venu une "phase" où l’artiste a douté de la viabilité du projet et de l’opportunité de revenir sur scène. This Is It "zappe" quelque peu ses turpitudes pour montrer un Michael Jackson perfectionniste, investi, méticuleux. Quitte à "masquer" les imperfections vocales de l’artiste. Et donc de présenter un artiste à la motivation égale et à l’enthousiasme constant.


Outre ces playbacks (de playback), This Is It entend montrer la créativité perpétuelle de l’artiste. Cependant, avec une tracklist quasi-inchangée, This Is It n’est au fond qu’une mise à jour des précédentes tournées. Le principal changement intervient en coulisse. Il est d’abord technique/technologique. Michael Jackson est ici mis sous-tutelle. Il est "entouré" de Kenny Ortega (réalisation/conception des tableaux), Travis Payne, Stacy Walker (Chorégraphie) et Michael Bearden (direction musicale). Si auparavant ces personnes n’étaient que des noms apparaissant gentiment au générique, l’artiste a ici moins d’emprise dans les décisions. Par exemple c’est Kenny Ortega qui obligera l’artiste à porter des oreillettes pour surveiller son retour. L’autre exemple peut paraître accessoire mais souligne l’armée mexicaine autour de l’artiste durant la préparation de la tournée. Habillé depuis le début de sa carrière solo par Michael Bush, AEG impose Zaldy comme costumier. Mais Michael Bush est néanmoins bien présent. Ce qui donne par exemple pour le tableau Billie Jean, un pantalon (avec technologie Philips) et un gilet confectionnés par Zaldy mais un gant cousu par Michael Bush…et Swarovski. [N.B. : ce même Zaldy n’a eu de cesse de faire des costumes confectionnés son portfolio…tout en traînant en justice l’Estate de Michael Jackson en 2015 en réclamant des impayés !]


Enfin le changement intervient dans la manière de "coacher" l’artiste. Si l’artiste avait pour habitude de faire la pluie et le beau temps, AEG entend bien faire respecter les termes du contrat. Quitte à avouer quelques mois après sa mort qu’outre cette tournée londonienne, l’artiste devait se produire dans d’autres contrées. En profitant de la vulnérabilité de l’artiste, AEG a vu son "audace" se retourner contre elle, faisant de la firme un profiteur sans scrupule. Poursuivre ce raisonnement serait bien trop simpliste. Ainsi, la gestion du staff de Michael Jackson aurait mérité un traitement plus pragmatique de la part d’AEG. C’est néanmoins l’artiste lui-même qui congédiera le Dr Thome Thome pour faire appel à son manager de l’ère-Bad Frank Dileo. Cette permissivité a donc ses limites et c’est ce que le procès du Dr Conrad Murray mettra en lumière : absences répétées de l’artiste au répétition, échange de mail entre Kenny Ortega et AEG concernant le manque de peps des répétitions, retard dans le processus créatif auquel s’ajoute des chansons insérées en dernière minute…Face à cet amoncellement de péripéties (inhérentes à l’organisation d’événements), AEG fera parler son savoir-faire : vidéos de coulisses annonçant la bonne marche des répétitions, matraquage en règle annonçant des concerts époustouflant…et d’un autre côté le déni des addictions de Michael Jackson. Et de mettre en exergue les travers des prescriptions médicales américaines : face au refus de s’alimenter et au manque de sommeil de l’artiste, ce dernier se fait prescrire pilules et autres médicaments. Criminel crieront les fans de Michael Jackson. Dr Conrad Murray édifiera, lui, sa défense sur la quasi-obligation de délivrer ces ordonnances : en effet, l’artiste avait pour habitude d’utiliser des prête-noms pour obtenir des médicaments auxquels il n’avait pas accès. Si le Dr Conrad Murray ne rédigeait pas ces ordonnances, un confrère l’aurait fait à sa place. Idem pour les multiples injections de Propofol. Bien qu’interdites à domicile, au fond que pouvait-on refuser à l’artiste et/ou à la réussite de ce come-back ?


Au final, le visionnage de This Is It n’aura pas été effectué au cinéma. Oui dans un geste quasi-militant, il m’était impossible de participer (financièrement) au renflouement des investissements d’AEG. Les nombreuses fois où j’ai pu voir This Is It, une même impression se dégage : celle d’un maquillage (sic) en règle d’une entreprise trop risquée, un pacte avec le diable qui a mal tourné. Emiacé lors des répétitions (cf le port de deux chemises sur certains tableaux pour cacher cette minceur), stressé à l’idée de ne pas être à la hauteur, Michael Jackson s’était pourtant "relancé" lors des dernières semaines de répétitions comme convaincu qu’il pourrait montrer l’étendue de son talent à ses fans…et à ses enfants. Celui qui avouait plus jeune ne pas vouloir faire le moonwalk sur scène à 50 ans, décèdera peu avant son 51ème anniversaire. A ce titre, This Is It illustre bien la grandeur et la décadence de l’artiste : Michael Jackson fut bien celui à qui on ne refusait rien, celui qui obtenait tout et qui aura su dissimuler ses carences et ses manques sur l’autel de l’entertainment à outrance. Son décès referme un chapitre de l’industrie du divertissement : celui du cash (comme le prouve encore une fois la tournée comme le documentaire This Is It), de la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande, du contrat roi et de la rémunération comme moyen de pression. This Is It aurait dû être l’ultime retour pour marteler une dernière fois qu’il est le Roi de la musique, de la mise en scène et du divertissement. This Is It ne sera au final qu’un documentaire d’1h59, reflet plus ou moins fidèle d’une carrière hors-norme et (relativement bien) orchestrée…

RaZom
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le 23 févr. 2016

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