Le retour de « Titanic » en salles, ça donne quoi ?

Evacuons tout de suite le sujet de la 3D : c'est pas mal mais ça n'apporte rien, et c'est surtout un prétexte pour revoir le film en salles, une belle occasion à saisir cela dit. Et par ailleurs, dans la séance où je suis allé, beaucoup de spectateurs/trices n'avaient pas l'âge de l'avoir déjà vu en salle...

C'est un film que j'ai finalement peu revu, mais l'impression est plutôt à la hausse à chaque vision : le film est riche et passe le temps avec succès, peut-être du fait de son classicisme (on va y revenir).

Lors de sa sortie, on a pu affirmer que l'histoire d'amour était une sorte d'appât pour nous faire redécouvrir le drame historique. L'imaginaire de cette catastrophe est par ailleurs régulièrement mobilisé dans les discours écologiques. D'une certaine manière, le film de James Cameron y souscrit. On pourrait même lui attribuer des préoccupations « écosocialistes », puisqu'il mixe critique sociale et critique du « toujours plus » (plus grand, plus vite etc). Par exemple, le paquebot est aussi stratifié que la ville dans « Metropolis » de Fritz Lang, des machinistes dans la soute jusqu'aux passagers huppés de la première classe au sommet (et sur lesquels on va revenir). La critique antiproductiviste et (discrètement) féministe passe elle de façon plus sommaire dans des dialogues assez éloquents, avant d'être rattrapés par le concret...

Il y a quelques années, le festival du film d'Arras a eu la bonne idée de programmer le film britannique « Atlantique, latitude 41 » de Roy Ward Baker, réalisé en 1958, près de quarante ans avant « Titanic ». C'est un film catastrophe plus classique, mais déjà très réussi. Il n'y a pas vraiment de personnages qui se détachent, et une plus grande importance est accordée au second paquebot qui naviguait dans le secteur la nuit du drame, et dont on voit quelques images à la toute fin du film de James Cameron. Néanmoins, certains plans sont très similaires à ceux que réalisera le cinéaste américain. Ce dernier n'a pas réalisé un film d'avant-garde, mais s'est inspiré des films qui l'ont précédé. Il s'est en quelque sorte inscrit dans la lignée des films catastrophes américains dont la matrice pourrait être « La Tour infernale » de John Guillermin, mais aussi des fresques romanesques à la manière d'un David Lean ou des films que Sydney Pollack a tournés avec Robert Redford. Il a visé le mélange parfait (cross over, en bon français) des deux.

Il est donc temps de parler des personnages. La romance n'est pas seulement un appât ou un prétexte, c'est le cœur même du film. S'ils ont déjà croisé leurs regards auparavant, à distance puisqu'ils ne sont pas du même monde, la première vraie rencontre se passe à l'arrière du bateau. Rose s'apprête à se jeter à l'eau, Jack tente de l'en dissuader en la raisonnant sur la froideur de l'océan. Lorsqu'elle fait demi-tour, Rose trébuche, et Jack se penche sur elle et parvient à la retenir par la seule force de ses deux bras. Logiquement, compte tenu du centre de gravité du système Rose-Jack, ils auraient dû tomber. Mais on ne commence pas une histoire d'amour en tombant involontairement à l'eau. En s'y jetant peut-être...

Si Rose et Jack vont différer le plus possible le moment d'affronter les eaux glacées, il y a par contre un autre personnage, Cal, le fiancé imposé à Rose, qui s'y vautre complètement, mais au figuré, dans les eaux glacées, mais celles du calcul égoïste. Les scènes le montrent toujours sous un jour odieux. Il ne montre d'ailleurs jamais de tendresse pour Rose : comme pour le reste il se comporte en pur propriétaire. Et bien sûr, lorsque la catastrophe arrivera, il s'empressera d'utiliser son argent pour acheter son salut, puisqu'il n'y aura pas de canots de sauvetage pour tout le monde. Ce choix de Cameron pouvait, à sa sortie, paraître manichéen. Les plus grands salauds ou forceurs sont en effet parfois capables d'apparaître de façon positive, ce qui les rend d'autant plus redoutables. Le manichéisme bien réel des systèmes d'exploitation et de domination n'implique pas nécessairement que les individus soient tout bons ou tout mauvais. Le cinéaste a préféré faire de Cal un symbole de la classe possédante, et lorsqu'on voit comment se comportent les hyper-riches à l'époque contemporaine, on peut se dire qu'il a visé juste...

Donc voilà, Jack a sauvé une Rose désespérée par l'avenir promis avec Cal, et l'idylle peut commencer. L'histoire est belle, car cet amour ne repose pas conventionnellement sur le physique. Certes, à la sortie du film, il y a eu une Di Caprio mania (alors que c'est surtout Kate Winslet qui crève l'écran), mais James Cameron ne cherche pas à les glamouriser. Leur amour est montré comme une relation de confiance absolue l'un envers l'autre. C'est un leitmotiv qui reviendra régulièrement, lorsque l'un des deux sera accusé à tort d'un acte qu'il n'a pas commis, par exemple. Et qui culminera avec la façon dont Rose va démenotter de façon peu orthodoxe son amoureux (il fallait qu'il ait vraiment confiance !).

Cette beauté de l'histoire d'amour permet à la Rose âgée, dans des scènes contemporaines, de donner une petite leçon de vie aux explorateurs venus chercher des trésors dans l'épave, avec leurs vues techniciennes ou scientifiques. Dans le prologue du film, l'un d'entre eux montre sur un écran d'ordinateur des images de synthèse simulant le naufrage du paquebot. C'est bien sûr aussi une façon malicieuse pour Cameron de préparer le spectateur aux scènes de la deuxième partie...

Un petit mot sur la musique, composée par James Horner, qui est un écrin d'une surprenante finesse, avec une orchestration magnifique. Ce n'est pas un hasard si la première fois où on entend les flûtes correspond à la scène où pour la première fois Jack et Rose se retrouvent volontairement et assument leurs élans naissants. La musique n'est jamais envahissante, elle accompagne vaillamment les scènes, pas forcément pour en souligner l'action, mais aussi pour y apporter une nuance inattendue parfois. La seule concession à la facilité commerciale est la chanson de fin, avec une interprétation vocale plus calibrée de Céline Dion (mais, ceci dit, il faut bien faire plaisir aussi à Xavier Dolan), mais, dans tout ce qui a précédé, la musique a fait partie intégrante et essentielle de la mise en scène.

La mise en scène de James Cameron souligne certains aspects, ce qui rend le film très fluide, mais revoir le film permet de mieux appréhender d'autres figures, par exemple d'autres personnages que ceux dont on vient de parler. Si Cameron s'attarde sur les mœurs des classes possédantes, certains passagers de troisième classe reviennent de façon récurrente dans le champ. Ils n'ont pas toujours de vrais dialogues, leurs noms ne sont pas toujours cités (si on transposait le test de Bechdel aux classes sociales, peut-être que le film ne le réussirait pas), mais ils sont les témoins du drame qui se noue, et les plus grandes victimes de la tragédie (car les premiers canots de sauvetage sont réservés à la première classe, les escaliers d'accès au niveau supérieur leurs sont même fermés). Ils sont fait comme des rats (avec lesquels ils partagent l'entrepont). Même muets ou impuissants, ils hantent discrètement le film et lui donnent une dimension supplémentaire qui court tout au long de l'oeuvre (et pas seulement à la fin), pendant qu'on s'était focalisé uniquement sur Jack, Rose et les siens (parfois à son corps défendant)...

cinelolo

Écrit par

Critique lue 52 fois

D'autres avis sur Titanic

Titanic
Julie_D
9

Of course, the experience of it was somewhat different.

Je me rappelle très bien de ma première vision de Titanic. Nous n'étions plus que deux au sein de ma classe de 5ème à ne pas être allées voir le phénomène, et ma camarade a presque du me trainer au...

le 4 mai 2012

116 j'aime

8

Titanic
Yas
9

Critique de Titanic par Yas

Que les choses soient claires dès le départ : je ne suis pas du tout fleur bleue. Même pas comédie romantique. Et je rajoute aussi que j'étais contre les tournures de romantisme ambiant qu'a pu...

Par

le 31 janv. 2011

88 j'aime

12

Titanic
Momodjah
3

Putain d'iceberg !

C'est LE film que j'ai refusé de voir pendant des années pour la simple et bonne raison que tout le monde l'avait vu et encore pire, adoré. Il me gavait par avance ! Oui, quand on est jeune, on aime...

le 23 oct. 2010

50 j'aime

18

Du même critique

Rouge Midi
cinelolo
7

à chaud...

Ceci n'est pas une critique, mais plutôt un commentaire à chaud. Je suis en train de rattraper les premiers films de Guédiguian, ceux réalisés dans les années 1980, que je n'avais jamais vus...

le 18 avr. 2020

3 j'aime

2

Free Angela
cinelolo
7

Le combat d'une vie

Angela Davis, c'est une militante infatigable, qui a été accusée à tort de complicité de meurtre, alors qu'elle prônait la non-violence. Elle est devenue une égérie de la contestation radicale des...

le 25 févr. 2015

3 j'aime

1

L'Innocent
cinelolo
7

Mélodie (en surface)

J'aurais pu prendre la plume pour défendre mes films favoris du moment : entre autres les fulgurances de "EO" ou les performances de Virginie Efira chez Alice Winocour ("Revoir Paris") et surtout...

le 3 nov. 2022

2 j'aime

2