Il y a, aux quatre coins du monde, des mecs qui s'arrêtent et s'interrogent. Qu'ils s'appellent Noé, Kargl ou encore Cronenberg, ils nettoient le tas d'immondices posé devant nos portes, impriment la pellicule des méandres obscurs de nos cerveaux, cataloguent froidement les changements qu'un mode de vie, qu'un système, infligent à ses fourmis.

Dès les premières séquences, saccadées, le style épileptique unique de Shinya Tsukamoto te saute à la gueule. Plans serrés ou larges, subliminaux, charnels et contemporains. L'homme en son centre, la ville comme théâtre des opérations. À la fois primal et punk, torturé à l'extrême, ce style est immédiatement identifiable et frappe là où ça fait mal.

Le personnage principal, que Tsukamoto, comme à son habitude, interprète lui-même, pour trouver un peu de sel à mettre dans sa morne vie réglée, aseptisée, digérée par un système trop impitoyable pour l'individu, s'abandonne à la souffrance physique volontaire. Comme une issue à une vie vierge d'intérêt, où l'homme n'est qu'un maillon de cette chaîne inhumaine et où il trouve une seconde naissance dans les bas-fonds nippons bétonnés.

La terrible routine du quotidien plus violente que des châtaignes dans la tronche.
La douleur comme vaccin, comme retour à la vie pour l'homme devenu résidu.

La réalité telle qu'il l'aborde transcende son cinéma, délesté des oripeaux métalliques cyberpunk, elle fait mal, est injuste et clinique. Son réalisme torture les chairs, marque les visages.

Et si elle n'altère en rien son foisonnant débit visuel, elle n'entrave pas non plus sa capacité et son désir de parler de l'homme. Et ici, pour son quatrième film, d'avoir pour pivot une femme. La femme qui lézarde les convictions et offre une sorte d'alternative.

L'homme tokyoïte, pantin de la mégapole aliénante, broyeuse d'individus, froide et inhospitalière. L'homme en pleine mutation, microbe révolutionnaire qui prend en main son destin, s'y éclate les phalanges, y perd quelques dents, et retrouve ce souffle qui déchire sa poitrine.

On pense à Fight Club même si, incontestablement, Tsukamoto choisit une voie moins Glitter que Fincher et finit avec un objet moins Glam. Carrément lugubre.

Un film court mais furieusement dense et qui fait mal au menton. Chapeau !
DjeeVanCleef
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le 5 juil. 2014

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DjeeVanCleef

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