Quand un film sur la "civilisation des nomades" a le bonheur de nous parvenir, ne boudons pas notre plaisir d'autant que le morceau d'histoire ici ré-interprété (plus que fidèlement retranscrit) est un épisode bien fameux dont les illustres auteurs antiques nous ont partagé le souvenir.


Cyrus II, dit le grand, principal fondateur de l'hégémonie perse au VIeme siècle avant notre ère, empereur conquérant et expansionniste vient de mourir, semble t-il au combat, face à une tribu nomade des steppes, lui dont la dernière ambition était de soumettre l'immense mais décadente Egypte. Quand en plus sa mort vient des mains d'une femme, reine de son propre peuple, il n'en faut pas plus pour que l'émoi gagne les contemporains. Hérodote, Strabon, puis Anabazis, Don Cassius, les faits sont peu documentés mais souvent relayés. Ce film tente d'en proposer une version tout à la gloire de l'identité nomade, ode à la liberté, reconstitution minutieuse manquant cependant un tant soit peu de chaleur humaine, de profondeur chez certains personnages.


L'interprétation est au diapason avec le paysage, majestueux, sublime, aride. Des trajectoires de vie qui se font avec meurtres, intrigues et razzias en toile de fons, des histoires d'hommes et de femmes vivant en vase clos dans des villages de terres au milieu d'étendues sans limites, c'est tout le paradoxe des nomades de TOMIRIS. Epris de liberté mais cloisonnés par besoin de survie. On ne rit pas tous les jours chez les Scythes, dans ce film pas bien plus. Ici le peuple en question est celui des Massagètes dont le chef, charismatique au possible, a vite disparu par la trahison de quelques lieutenants avides d'or et de pouvoir.


L'or, ce métal aussi précieux d'honni parce qu'il corrompt les hommes et leur fait perdre tout raisonnement. C'est pour de l'Or qu'un père est enlevé à l'héroïne. C'est pour de l'or que la suite ayant protégé l'orpheline est massacrée. C'est pour de l'or que certaines tribus razzient leurs voisins générant l'essentiel des tensions subsistant entre les factions, c'est aveuglé par l'or que le mari de Tomiris perd la vie, c'est enfin paré d'or et assoiffé de richesses que Cyrus court à sa perte en s'attaquant aux steppes libres de son joug.


Tomiris brille pour la minutie de certains scènes (le rituel funéraire, les joutes martiales dont à voir absolument), et offre des toilettes d'une rare beauté. On relie Tomiris aux amazones, de façon assez subtile, en présentant les épouses et filles sarmates comme des guerrières aguerries et triées sur le volet. Mais le film pêche par son ambition et un manque évident de lyrisme qui aurait pu faire de ce bon film historique sans prétention un vrai film épique.


A commencer par la musique, oubliable quoique correcte, sans plus. Les combats de cavalerie, arme préférentielle des nomades, sont difficiles à lire et nécessitent souvent une vue aérienne trahissant l'emploi massif de CGI, ces derniers étant, il faut l'avouer, plutôt bien maniés (exception faite de la lutte de la reine contre l'entité peuplant ses cauchemars, où le pixel pèche à convaincre). Les combats d'infanterie rapprochés sont jouissifs dans leur chorégraphie mais très répétitifs par certains schémas (Les ennemis chutant par le coup des lances et des flèches sont des scènes presque imposées qui servent surtout de transition entre deux scènes plus immersives, sacrés cascadeurs au demeurant). L'une des meilleures scènes de combat reste la première dans le chapitre introductif, combat qui n'oppose qu'une douzaine d'hommes.
Autre soucis du film si l'on excepte l'interprétation un peu raide de l'héroïne, l'Histoire. Nous le savons, plusieurs sources évoquent une mort de Cyrus différente. Il meurt au combat ou meurt après le combat, meurt en captivité alors époux de Tomiris, ou enfin meurt de vieillesse, dans son lit. Quoique soit la vérité, elle se trouve peut-être au croisement de ces informations dont le film fait peu de cas, car ne se contentant pas de romancer (comment pourrait il faire autrement, ce que nous savons tient sur une page et quelques dizaines de tableaux de la renaissance qui relèvent plus du fantasme et de l'iconographie que de la vérité), il trahit certains éléments, les rares, qui se retrouvent dans les différentes sources.


Tomiris devint reine par son veuvage. Ici elle le devient par hérédité. Le mari de Tomiris meurt avant l'arrivée des perses dans la région, ici il meurt captif à Babylone. Le fils de Tomiris aurait été mis à mort, ou se serait suicidé. Ici il est assassiné sauvagement en combattant. Enfin Tomiris aurait tranché la tête de Cyrus, en combattant avec ses guerriers, ici c'est un chef de tribu qui lui ôte la vie et rapporte la tête à la reine des nomades, laquelle patiente sur une colline regardant la bataille, au loin. Tomiris qui dans cette relecture prend les airs d'une impératrice dans une acceptation très occidentale de sa position, alors qu'elle est et se revendique avant tout comme une nomade.


Un beau film en définitive, prenant, captivant esthétiquement, un peu sec humainement, qui propose un regard sur un pan d'histoire bien méconnu par les peuples européens dont beaucoup, pourtant, descendent de ces fiers tribus qui durent s'exiler vers l'Ouest et s'intégrer au vieux continent en traversant les Balkans, quand poussèrent dans leur dos, une autre menace, non plus perse, celle-ci, mais Hun.

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le 3 janv. 2021

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