Il y aura beaucoup de spoilers sur les deux films, c'est une "analyse" plus qu'une critique.


Total Recall : Mémoires programmées (2012) est, avant tout, le remake du film d'action de 1990 plus qu'une enième adaptation d'un livre de Philip K. Dick. Plusieurs postulats de ce film m'ont interrogé, et c'est la genèse de cet article. Ce que je retiens d'une oeuvre, c'est ce qu'elle appelle en moi, la manière dont elle me fait évoluer en tant qu'individu. Total Recall : Mémoires programmées ne m'a pas laissé (totalement) indifférent, ce qui explique ma note (6/10). Et si tu veux savoir ce que je pense des notes, bah lis un bouquin de K. Dick.



Dans un futur proche, réduire une oeuvre à une valeur alpha-numérique sera obligatoire pour publier un article sur un intraweb de base de données culturelles de mes fesses et pour s'intégrer socialement à un univers virtuel de mes couilles.




Concept vs Setting



Ce film décide de reprendre, peu ou prou, la séquence d'évènements (plot) décrite dans le film de Verhoeven, mais cherche à raconter une histoire complètement différente. Bien que cet exercice de style puisse être très intéressant, et que l'intention soit louable, le traitement manque de maturité en terme d'écriture. Le résultat donne une histoire moins cohérente, créant une tension de moins en moins efficace à mesure que le film progresse, faisant passer ses scènes d'action pour des fillers, et pire que tout, vide le récit de toute forme d'épaisseur. Comme si tout ce setting narratif (monde fictif) n'était là que pour faire joli et n'avait plus vraiment de sens au sein de l'histoire.



Les basiques de la narration




  • 1) L'univers (définissant le champ d'action et les possibles pour les personnages)

  • 2) Les personnages (le moyen de faire évoluer le plot)

  • 3) Le plot (la chaine d'évènement de laquelle découle l'histoire)



La causalité est une clé déterminante de l'art de la narration.
Le plot n'existe qu'à cause de l'existence des personnages. Les personnages n'existent qu'à cause de l'univers duquel ils émergent (univers qui peut être notre quotidien). L'univers représente les fondations de tout ton travail (personnages, plot et histoire). Déconnecte les personnages de ton univers (Fantasy, Bizarro, Sci Fi, Historique, etc) et ton plot perdra tout son sens.



Comment John (the character) peut allumer la lumière (plot) si l'électricité n'existe pas? (setting).



L'univers graphique, aussi superficiel soit-il, est plutôt plaisant, on retrouve bien l'esprit Cyber-Punk qu'il cherche à créer. On a ce visuel à la Minority Report. C'est d'autant plus dommageable que cet univers visuel ne soutienne pas beaucoup le propos de l'auteur, puisqu'il parvient à mes yeux comme factice et fade, là où Blade Runner l'avait rendu tangible. Total Recall : Mémoires programmées, c'est pas non plus un setting catastrophique. On est loin de "The Last Jedi" world building level of "batslescouillisme", faut pas déconner non plus, tout est relatif (Einstein). Tout bien pesé, le film propose une imagerie qui me parle, permettant des screenshots touristiques sympathiques, et j'apprécie ce travail d'effets spéciaux (y compris lors de la castagne).


Hormis la surutilisation de Lens Flare, tellement insistante qu'elle peut en devenir insultante. Encore une anecdote à rajouter à la parodie de blockbuster qu'est Saints Row IV.



Thématiques



Le film décide de se débarrasser des thématiques phares de Verhoeven que sont le sexe et la violence. Postulat que j'arrive non seulement à comprendre, mais même à valider. Il décide de les remplacer par l'amour et la justice; deux thématiques fédératrices qui me sont chères. Seulement là encore, c'est assez mal exécuté. Il y a quand même quelques points positifs dans les faits.


Les personnages de Sharon Stone (l'undercover sex toy) et de Michael Ironside (le vil homme de main) ont été fusionné en une seule entité au travers du personnage de Kate Beckinsale. Lorie Quaid gagne en fonctionnalité dans cette version. C'est plus efficace et ça sert la vision de ce film. Bien entendu, ce caractère "bi-classées" peut également paraître fade. Elle fait moins "evil" qu'un Ironside, et elle fait moins "sex toy" qu'une Sharon Stone, faisant perdre un peu d'intensité à ses interventions. Cela dit, je ne connaissais pas cette actrice (vierge de tout a priori), et j'ai trouvé sa performance assez moyenne. Maintenant que je me documente, je me rend compte qu'elle a joué dans Underworld, et je me souviens pas d'elle... ("souvenir low cost"). All in all, le personnage de Lorie m'a surpris (en bien comme en mal) tout au long du film, et c'est bien la seule chose que je pourrais qualifier de surprenant dans cette oeuvre.


Le personnage d'Harry, un "plot device" à peine exploité dans le film de 1990, a été lui aussi fusionné avec un autre personnage "plot device". C'est une autre rare qualité de ce projet. Harry est dorénavant un personnage à part entière, me permettant de m'attacher à lui, aussi archétypale soit-il. Un "meilleur ami noir" générant une meilleure empathie pour le héros lors de la "scène-clé" et élèvera les enjeux de cette dernière : "dois-je tuer mon ami ou dois-je tuer mon amour ?". La scène en question est hélas un poil trop longue, ruinant un peu son effet. Ce film ne fait définitivement pas dans la subtilité. Un comble pour un titre qui cherche à être moins bourrin que Schwartzy et Verhoeven réunis !



Vous croyez que je suis le vrai Quaid ? Gagné !



Pour se débarrasser de la violence, le film décide d'introduire des robots-policiers afin de créer des scènes d'action sans morts ou blessés. C'est une pirouette assez astucieuse. Le Robo-Flic est évidemment un clin d'oeil à RoboCop, témoignant une forme de respect au travail de Verhoeven, mais c'est également une manière d'affirmer son désaccord avec la thématique du Hollandais. J'apprécie la démarche, c'est élégant (qualité rarissime dans ce film). Il est néanmoins possible que ce postulat d'éradiquer le sexe et de la violence du scénario soit un choix de production plus qu'un discours d'auteur.



Thématiques vs Business



Pour donner un exemple caricatural, classer un film PG-13, c'est toucher un pool de spectateur plus large (enfants, et parent-accompagnateur). Classer un film R-Rated, c'est faire une croix sur 20% de son pool potentiel de spectateur (DVD/Blu-Ray inclus). Ces chiffres m'ont surpris, mais au vu du coût d'une super production hollywoodienne, les choses s'expliquent (même à 5 euros la place, ça fait beaucoup de perte). Rajoutons à cela que ce projet n'a même pas une dynamique de Trilogie (coffret, special edition, etc), ni même d'un Extended Cinematographic Universe (série télé inclus) pour booster son audimat. Car oui, un Marvel Univers Cinématographique cible un publique qui n'a jamais lu un comics Marvel de sa vie !. (ie: Moi).



  • Moi : Si je te dis Marvel, tu penses à quoi ?

  • Ma belle-soeur: Ah ouai, le loup là, je me souviens du film ouai. Jackman c'est ça?


Quel génie. Tu m'étonnes que Disney se régale d'avoir récupérer la franchise X-Men...



That's why they ain't got no heart in what they write



Non, gardons ce "souvenir à vendre" pour plus tard.


Contrairement à beaucoup de blockbuster du XXIth siècle, tout ce que Total Recall : Mémoires programmées dispose pour booster ses recettes, c'est un succès populaire des 90's, et un auteur de SF des 60's que personne n'a lu. ^^



Je suis vivant, et vous êtes tous mort.




Bilan



Total Recall : Mémoires programmées accole les thématiques de justice et d'amour sur une suite d'évènements conçue pour mettre en scène le sexe et la violence. Exercice de style qui force l'auteur à changer quelques éléments de plot, pour pouvoir changer profondément l'histoire. Et l'impression que ce film me laisse, c'est qu'il sait comment raconter une histoire, mais qu'il ne sait pas ce qu'il veut nous raconter; coincé par un agenda commercial. Un "cash grab" qui m'a finalement rappelé ce fameux...



Souvenir à Vendre (sur Deezer).




[Verse 1: Murs]

It's War and Peace, it's more than Beef

Must uphold the call you swore to keep

It's Life and Death, it's Blood and Sweat

We fight for Love and Respect

It's man to man, it's hand to hand

You make your fist, You take your stand

Prepare to throw down whenever it go down

Under pressure don't fold man, hold your ground



Bon là on a les thèmes. Passons à l'exposition (setting et personnages).



[Verse 2: Murs]

I'm from L.A. I grew up fightin'

After school, no rules, it's clash of the Titans

Writin' from experience is most of what you hearin' is

flat-out bullshit : these niggas ain't serious!

Ain't never seen no parts of a fight

That's why they ain't got no heart in what they write



Et racontons une histoire cohérente avec tous ces éléments.



I walk wit' my head up, and down to go head up

If you can't walk the talk, then homeboy : shut up!

I'm fed up wit' these rappers gone wild

Cockin' back guns in mixtape, freestyles

If you was a real man you would fight wit' your hands

Not hide behind security lyin' to your fans



[Hook: Murs]

I stare without caring when I walk through the door

You see it in my eyes, I've been there before

I got my stories, I know you got yours

These are our scars, this is our war



[Verse 3: Murs]

Knuckle up, get down where you mad at

Flat disrespect, I ain't gon' have that

No jaw jackin', I'm all action

I represent the real and that's a really small faction.

Down to scrap and really know what's happenin'

Been bitten, been scratched, hit with helmets and bats

Had dudes try to jump me

Dudes try to stab me

Dudes who kept swingin' while security grabbed me!

Trust me, I ain't for the trash talk

Jump up both feet : stomp your brain in the asphalt

True stories, I've been through the gory

Blood everywhere more fools comin' for me

You take your lumps, you wanna live the life

Adrenaline rush'll get you higher than a kite

Outside lookin' in you don't know what it's like

You wanna make friends , you don't really wanna fight



Murs - SWC



Soupape



Voilà ça c'est un vrai build up narratif (thématiques/setting/character/plot) avec une conclusion logique, cohérente et satisfaisante qui m'amène à réfléchir en tant que spectateur ! Ca; ça ressemble a un mec passionné par ce qu'il raconte ! C'est à la portée de n'importe qui de respecter des règles basiques, même à l'insu de son plein gré, et j'ai pas eu à citer Shakespear pour le démontrer ! Je ne suis même pas sûr que ces rapeurs ont étudié quoi que ce soit en narration, ils en ont juste quelque chose à foutre de leur oeuvre ! Qualifier de médiocre le travail de fond sur ce blockbuster est un euphémisme. Et le plus fou dans tout ça, c'est que ce "souvenir à vendre" qu'est ce Total Recall : Mémoires Programmées est loin d'être le pire dans sa catégorie.


The Last Jedi, Transformers 2, Batman vs Superman, pour en citer 3 qui pulvérisent les records de "baslescouillismes" narratif.


Et c'est également là que tu peux (peut-être) comprendre, malgré tout, pourquoi je trouve intelligent le postulat du film de chercher à minimiser la violence, dans la mesure où il n'a pas d'humour satirique pour la relativiser (celui-là même qui sauve le MCU de sa déchéance totale). Et comme le disait très bien cette chanson.



I'm all action, I represent the real and that's a really small faction.



Bien que l'action reste plutôt lisible dans l'ensemble, la réalisation manque A) d'un poil de maîtrise pour que les scènes restent fluides, et B) cruellement de personnalité dans la valorisation des cascades. J'ai vu l'extended cut, et je dois dire que ce film n'a pas la science du rythme (wesh wesh gros) pour alterner action, développement de personnages, et avancé de l'intrigue. La première demi-heure m'a happée, l'exposition est plutôt réussie. Et quand l'action kicks-in, on a envie de savoir la suite. Et puis très vite, on peut s'ennuyer, notamment si on a vu l'original (tant le film ne cherche pas à s'en écarter), notamment si on visionne l'extended cut (que j'imagine moins équilibré que la version Cinéma). La tension disparaît très vite, les thématiques (justice/amour) ne fonctionnent pas avec le plot (badaboom), l'aspect politique en devient incongrue, sans même parler des acteurs qui composent tant bien que mal avec ce qu'ils ont. Le délire espion/paranoïa n'est plus qu'un gimmick risible, perdant sa puissance à coup de megablaster.


Le seul véritable "sursaut" d'intérêt que j'ai expérimenté, c'est à l'apparition de Melina. Non pas qu'elle soit inattendue (elle est annoncée dès les premières minutes du titre), mais le personnage est tellement mieux traité que l'originale (c'est pas dure), et son arrivée est tellement plus badass que l'originale (c'est pas dure), et l'actrice (Jessica Biel, encore une inconnue au bataillon) est tellement moins vulgaire que l'originale (c'est pas dure) que wow: ça fait son effet. Et puis ça retombe très vite, comme le reste du film.



C'est "jeu vidéo triple A" level of boringness



Ces déchets ludiques qui se tapent plus de 7.5 de moyenne sur SensCritique. Amis cinéphiles, comprendrez-vous l'absurdité de ma réalité ?



Conclusion



J'aime le postulat de ce film (de la réinvention des personnages aux nouvelles thématiques), et l'effort qui a été fait pour recréer un univers graphique cyber-punk. En ce sens, je l'ai trouvé plus intéressant que bien des films "chelou" genre Inception ou Minority Report. En tant que blockbuster, il pêche énormément (des scènes d'action au sens du rythme), tout comme Inception. En tant que story teller, il manque de travail, de vision (et peut-être d'ambition) mais il a l'intelligence de ne pas s'éparpiller en techno-babbling (intelligence que je n'ai pas !). En tant que jeu, il a rien foutu (c'est normal, c'est pas un jeu). Total Recall : Mémoires programmées est à l'image de l'industrie des médias actuel (jeu vidéo inclus). Des sous sur la table, des idées pas nécessairement débiles, mais un manque d'amour et de passion évident. Un combe pour un film qui cherche à parler d'amour et de justice.




  • What is life but our brain's chemical perception of it? Your eyes see, your brain chemistry reacts.
    Here, we just remove the middleman and we go straight to the chemistry. Does that make it any less real?

  • An illusion, no matter how convincing, is still just an illusion.

  • That's very good. You're right, objectively.



J'ai l'impression que ce vendeur de chez Rekall est plus passionné par son taff que l'industrie des médias. C'est chaud.

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le 22 févr. 2018

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