À un moment-clé de sa jeune existence, Milo a mis le pas dans des ténèbres insoupçonnés qui l'ont presque entièrement consumé. Aujourd'hui, orphelin et vivant avec son grand frère désoeuvré dans un petit appartement du Queens, le jeune garçon se réfugie dans une solitude constante que cela soit à l'école ou dans les endroits les plus isolés du New York pour lire, étudier... et éventuellement trouver une nouvelle proie. Milo nous est en effet présenté comme un vampire dès les premiers instants de "Transfiguration", en train de se repaître du sang d'un inconnu dans des toilettes publiques mais, au fond, l'est-il vraiment ou s'est-il persuadé d'en être un, nourri par sa passion obsessionnelle pour ces créatures omniprésentes dans sa collection de vieilles VHS ? On ne trahira pas l'ambiguïté entourant la véritable nature de l'adolescent car, si le film en joue en permanence laissant le soin au spectateur de se faire sa propre idée, l'essentiel du propos n'est pas là.
"Transfiguration" parle avant tout d'un bouleversement dans la vie de Milo, de l'entrée inattendue d'un halo de lumière dans la noirceur habituelle de son existence et susceptible de la bousculer fondamentalement. Ce changement prend les traits de Sophie, une jeune fille poursuivie également par un passé douloureux et qui emménage dans l'immeuble de Milo. C'est évidemment le début de l'histoire d'un premier amour bien particulier mais aussi celui d'une lutte intérieure capitale pour Milo au fur et à mesure que Sophie le ramène à l'innocence indissociable de son âge. Le garçon se retrouve alors dans une position impossible, tiraillé par ses sentiments naissants pour Sophie, à la fois si proche et si loin de lui, et sa condition qu'il a accepté mais qui semble de plus en plus se fissurer au contact de la jeune fille et prendre des chemins inédits en fonction des hauts et des bas de cette relation nouvelle. Pris au piège de ses émotions et incapable de quitter son statut de prédateur, l'adolescent devra faire un choix crucial...


Ce premier film de Michael O'Shea aurait été sans doute rangé par Milo dans sa collection de films de vampires "réalistes" qu'il affectionne tant (on y pardonnera d'ailleurs la présence bizarre de "Dracula Untold" simplement pour le sourire de la réplique sur "Twilight"). Totalement à rebours des films de vampire actuels (on pense forcément à "Morse" pour cette approche atypique d'un amour adolescent sur fond de vampirisme), la démarche du réalisateur emprunte la voie d'un cinéma indépendant faussement documentaire pour coller au près de la réalité de ce quartier mal famé et surtout à la silhouette ordinaire de Milo, petit être banal que personne ne remarque au cours de ses pérégrinations aux quatre coins de New York mais dont l'envergure paraît exploser dès que de son instinct de chasse se réveille accompagné d'une violence crue et terriblement réaliste.
Alors que le film se pare d'une ambiance à la gravité aussi pesante que la douleur constante de Milo, il prend également la forme d'un compte à rebours qui ne dit pas son nom avec ses fondus noirs lourds de sens et terminant chaque séquence cruciale avant une sentence dont on ignore la teneur mais que l'on sait inéluctable. Si Milo (fabuleux Eric Ruffin) a tout de la présence anodine dès que la caméra s'attarde de loin sur ses déambulations, lorsque celle-ci scrute le visage du garçon, c'est toute la complexité de son âme qui se dévoile en un regard saisissant de vérité et mieux, quand Sophie (Chloe Levine) entre dans sa vie, c'est chacun de ses rares sourires que le spectateur guette, espérant secrètement que ces miniscules éclaircies s'inscrivent durablement. On aurait même aimé que la jeune fille parvienne encore un peu plus à fragiliser la carapace de son petit ami avec plus de scènes où elle tente de le faire sortir de son mutisme comme celle, magnifique, où elle parvient à le faire parler grâce à sa fascination pour les vampires dans le but de mieux glisser une question sur sa mère à laquelle le garçon répond sans s'en rendre compte. Ces instants où les sentiments entre ces deux âmes blessées se mettent à irradier à l'écran seront bien sûr les plus beaux et les plus touchants du film, tranchant complètement avec les ténèbres vers lesquels sa dernière partie paraît nous conduire mais qui, finalement, bifurquera vers quelque chose d'autre à la fois différent, logique et en parfaite adéquation avec tout ce que le long-métrage nous a laissé voir et comprendre des déchirements qui ont habité Milo jusqu'alors...


Remarquable par cette proposition somme toute unique autour du vampirisme et par sa volonté d'aller jusqu'au bout de ses intentions dans l'étude des tourments intérieurs de son personnage principal, "Transfiguration" est un premier film où tous les boutons nous faisant crier à la perfection n'ont pas forcément été enclenchés mais dont l'audace et le parti pris impressionnent incontestablement... voire durablement.

RedArrow
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le 15 sept. 2018

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