[SanFelice révise ses classiques, opus 32 : https://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379/page-2#page-1/ ]


Une famille. Un accident de voiture. Un mari et une petite fille de cinq ans décédés. Il fallait tout le talent d'écriture des deux Krzysztof (Kieslowski et Piesiewicz, qui avait déjà collaboré avec le cinéaste sur les scénarios du Décalogue et de La Double vie de Véronique), pour ne pas sombrer dans l'émotion malsaine. Ici, on ne cherche pas à faire pleurer dans les chaumières sur le sort de la pauvre survivante. Jamais Kieslowski ne va chercher la facilité. Et jamais il ne s'enfonce dans un chemin qui semblait tracé d'avance.
La réaction de Julie (Juliette Binoche, absolument formidable) est une surprise de chaque instant. Au lieu de s'enfoncer dans la douleur, elle décide d'aller de l'avant. C'est une façon de fuir, pas totalement efficace d'ailleurs : la douleur la rattrape à certains moments, dans les instants de solitude, la nuit dans son lit, ou à la piscine.
Une douleur magnifiquement filmée. Kieslowski fait une réalisation très sensitive. Son film fait constamment appel à nos sens : réfraction de la lumière, toucher rugueux d'un mur, et la musique bien entendu. "De la musique avant toute chose", disait Verlaine. Kieslowski semble avoir adopté ce principe pour réaliser son film, tant la musique semble en être le personnage principal. Musique qui représente l'absence du mari : elle personnifie cet homme que l'on ne voit jamais et en accentue la disparition en même temps. Les plans sur le piano, les doigts qui glissent sur la partition, les notes qui s'envolent...


Julie décide d'avancer malgré tout. D'abord pour laisser tout cela derrière elle. "Plus de possessions, plus de souvenirs, plus d'attaches." C'est une nouvelle vie qu'elle cherche à commencer. Elle vend tout ce qui appartenait à son mari, elle détruit une partition inédite, elle coupe toutes les amarres qui la retiennent encore.
Julie veut être libre.
Sa vie, désormais, elle la voit comme cette maison où elle donne rendez-vous à Olivier (le collaborateur de son mari, platoniquement amoureux d'elle depuis des années) : vide, sans meuble, sans rien. Un nouveau départ. Une liberté absolue.


Sauf que rien n'est aussi simple. Le parcours de Julie sera émaillé de détails qui vont la ramener à son ancienne condition de femme et de mère. Le jeune Antoine qui a retrouvé un médaillon sur le lieu de l'accident. Des enfants à la piscine. Un reportage à la télé. Des partitions qui se refusent à disparaître.
Une fois de plus, la musique vient jouer un rôle de premier plan dans le film. Cette partition inachevée, c'est bien évidemment une métaphore de la vie de Julie. Et ce n'est pas un hasard si Olivier lui demande de la finir avec lui.


Kieslowski signe un film magnifique, d'une grande beauté esthétique et d'une grande finesse d'écriture. Et Juliette Binoche obtient là un rôle qui lui permet de dévoiler toute l'étendue de son talent, dans un jeu intériorisé d'une qualité exceptionnelle.

SanFelice
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le 22 mai 2017

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SanFelice

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