En 1989, Bertrand Blier a déjà réalisé ses plus grands films, que ce soit dans le drame (Beau-Père, Préparez vos Mouchoirs) ou la comédie (Calmos, Buffet Froid). Trop Belle pour Toi se distingue de ses films précédents sur pas mal de points, et est d'ailleurs plus obscur, je le trouve inadapté pour appréhender ce réalisateur.
Bien entendu, Blier traite toujours des mêmes thématiques : recherche de l'amour (à travers le sexe notamment), du bonheur et d'un chemin de vie. Il y a donc des tromperies, des dialogues qui se veulent sincères, des réflexions très personnelles, et du sexe, mais Trop Belle pour Toi est beaucoup moins vulgaire sur le plan sexuel que ses autres films (en même temps, difficile de faire pire que Les Valseuses ou Calmos).
Cet amour-là, qui concerne Gérard Depardieu et Josiane Balasko, est un amour incompris, inexpliqué par les deux protagonistes. Ils s'aiment, mais sans comprendre pourquoi, car ils n'ont rien pour se plaire : ils se demandent ouvertement : "comment est-ce possible ?". Blier pose ouvertement la question du processus d'amour, en prenant pour un exemple un amour inexorable, subi, mais qui ravi les deux personnages.
Depardieu et Balasko ont tous deux adopté un jeu assez minimaliste, chuchoté, hésitant, et très personnel. Et les dialogues sont encore une fois supers, on sent que Blier a déjà tâté de la plume. Les deux amants se parlent souvent à eux-mêmes, et en cela on a vraiment l'impression de personnages sincères, vrais dans ce qu'ils sont et dans ce qu'ils disent, pourvu que l'on comprenne ce qu'ils veulent dire.
Car en effet, le premier souci que j'ai eu vis-à-vis de ce film est le manque global de compréhension. Blier privilégie une narration intemporelle, basée sur des incohérences volontaires (notamment à partir de la scène du repas avec les amis) et des regards-caméras déroutants qui nous plongent totalement dans une optique de contemplation, ce qui rend aussi le film difficile à appréhender. Parfois on a l'impression de revenir en arrière, on ne sait plus distinguer le présent des flashbacks, et on se retrouve ainsi un peu perdu.
Même les musique font office à la fois de fond sonore et de lignes directrices pour les personnages. Et les musiques, parlons-en ! Intégralement piochées dans le répertoire de Schubert, elle soulignent parfaitement l'action (si elles n'en font pas partie), et on a droit à quelques scènes vraiment magiques, notamment celle avec François Cluzet en plan-séquence. Comme pour Préparez vos Mouchoirs, on a vraiment un traitement de la musique classique qui ne peut qu'émouvoir.
La scène précédemment citée est une des plus intense, mais durant tout le film, Blier fait preuve d'une maîtrise admirable du cadre : omniprésence de fenêtres, vitres et miroirs, jeux avec la profondeur de champ, les reflets, les ombres, avec toujours une utilisation très lisible de ces codes. Chaque plan a une utilité intelligible, et on reconnaît même certains plans qui font penser sans conteste à Fenêtre sur Cour, traduisant un voyeurisme hitchcockien encore très peu vu dans son cinéma.
Récompensé de 5 Césars dont celui du meilleur film, Trop Belle pour Toi est loin d'être mon Blier préféré. Je préférerais la douceur de Beau-Père ou le décalage de Calmos. Néanmoins, je dois bien reconnaître que Trop Belle pour Toi est un de ses films les plus élaborés, intelligents, et beaux visuellement. Il manque juste un peu d'accessibilité.