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En 2020, dans son avant-dernier film, Un Soupçon d’amour, Paul Vecchiali (28 avril 1930, Ajaccio - 18 janvier 2023, Gassin) imaginait une comédienne répétant Andromaque et y donnant la réplique à un partenaire qui ne serait autre que son propre mari, à la ville. Fiction rejoignant la réalité filmique et en dévoilant progressivement les pans douloureux. Trente-cinq ans plus tôt, dans Trous de mémoire (1985), le cinéaste, en duo avec Françoise Lebrun au scénario et dans une interprétation très largement improvisée, imaginait les retrouvailles d’un ancien couple, séparé depuis longtemps déjà. Un rendez-vous provoqué par l’homme, dans un parc désert, au petit matin, sur les rives d’une importante retenue d’eau. Eau captive, comme métaphore, précisément, de la mémoire qui reste et se refuse à fuir, en dépit du titre ?

C’est justement un défaut de mémoire qui nécessitait, prétendument, ce rendez-vous : un air à retrouver, identifier, restituer… Importance du chant, du carmen, qui s’enroule et charme, prend dans ses filets… Or un désir de reconquête s’avouera bien avant la fin de la rencontre.

Dans un espace-temps resserré à l’extrême - puisque l’entrevue ne s’étirera pas davantage que d’un matin jusqu’au soir, et que le couple ne quittera pas un périmètre très limité sur ces rives -, le spectateur-auditeur est témoin d’une forme de badinage post-amoureux, au cours duquel les deux membres du couple, alternativement et jamais dans la synchronie, se cherchent, s’approchent, refluent, se dérobent. La musique d’Antoine Dornel, au clavecin baroque, redouble et confirme ce caractère de quête amoureuse très policée. Toutefois celle-ci ne se joue pas dans le dédale de salons lambrissés, mais en pleine nature. Une nature dont la caméra très subtile de Georges Strouvé capte avec beaucoup de douceur toute la beauté, à l’occasion de pauses ménagées dans le dialogue et permettant à la musique de prendre place. Le scintillement des feuillages bruissant entre ombre et soleil n’a pas de secrets pour son objectif, qui se montre également très sensible au passage des nuages, venant soudain obscurcir ou tamiser une scène, à la manière d’un sujet, ou d’une humeur…

Mais ce badinage amoureux est-il aussi badin que le voudrait l’étymologie ? Les larmes, les aveux de blessure, de désir, diront bien la gravité, peut-être même la radicalité de ce qui se joue là, en accord avec Musset et la conclusion de sa pièce On ne badine pas avec l’amour. Qu’en est-il de ce duo formé par le réalisateur et par Françoise Lebrun, l’actrice vers laquelle Vecchiali revenait toujours ? Au-delà du jeu de deux acteurs, on ne peut se défendre contre le sentiment que, à travers la fiction, quelque chose se livre là de la profondeur d’un lien, de sa vérité, même. Ou du cinéma comme monde parallèle, où les rêves sont également vrais. Ainsi, il serait moins question, ici, de « trous de mémoire » que de trous dans le réel, laissant passer la vérité de la fiction. Le personnage de Françoise exprime d’ailleurs ce doute auprès de Paul : « Je ne sais jamais quand tu joues, quand tu es sincère… ». Ce flou, cette potentielle bivalence, sont sans doute la marque du cinéma de Vecchiali, sur fond de conscience du tragique.

Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/trous-de-memoire-film-paul-vecchiali-avis-10061173/

Créée

le 6 juil. 2023

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Anne Schneider

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