Le nouvel Hollywood était lancé depuis quelques années et chacun des films de cette nouvelle génération de réalisateurs avait alors la force d’un manifeste. Un après-midi de chien en est un très bon exemple.

L’élargissement dissymétrique du cadre depuis le bateau plein champ qui ouvre le film, au centre de l’écran, anéantit l’illusion initiale d’un navire en pleine mer et le fait apparaître dans la rade d’un port de Brooklyn. Ça c’est pour le manifeste ! Rompant avec le classicisme qui isolait un personnage de son cadre pour en raconter les interactions (émancipation, négociation), Lumet fond les deux en un tout dans lequel les liaisons, les enjeux se floutent ; c’est ainsi que nous seront bien en peine de découvrir les mobiles du personnage d’Al Pacino.

L’histoire vraie dont le film s’inspire lui offre tous les ingrédients dont a besoin son propos. C’est qu’encore il existe un lien indéfectible entre un film et le monde. Et ce qui arrive est contemporain des moyens qui apparaissent alors pour en parler ; rien d’étonnant dans cette synchronie : ce qui arrive n’est que ce qui est à dire. Ainsi Sonny est lui-même composite et opaque et répond exactement au monde dans lequel l’action se situe, où personne n’est ce qu’il paraît ; où aucune ligne de conduite n’est plus droite ; où la morale est tordue par un contexte ; où les sympathies se distribuent contre toute vraisemblance. Rien n’est moins « cliché » qu’Un Après-midi de chien. La manière de filmer de Lumet en appelle toujours au réel et à un réalisme qui est non seulement le contraire des grands films noirs classiques hollywoodiens mais qui est surtout l’élément tragique du film. Ainsi, dès le début, quand Al Pacino sort l’arme de son paquet suivi de la débine de son acolyte. Ce burlesque est une manifestation de ce réalisme et la succession de ratages souligne l’amateurisme des gangsters en même temps qu’elle marque les étapes d’une progression vers l’irrémédiable, qui est exactement l’élément qui fait basculer le burlesque dans le tragique. En effet le burlesque est amusant tant que le personnage se relève de sa chute et que le monde n’en conserve aucune mémoire. C’est ainsi que le comique est réversible absolument et qu’un gag peut se répéter indéfiniment. Dans la réalité rien de tout cela et, fondant le burlesque et le film noir, deux grand sujet du cinéma américain notamment, Lumet obtient l’effet désiré, à savoir le réalisme. C’est que la vie n’est pas parfois noire et parfois drôle, elle l’est en même temps. La force de Un Après-midi de chien, est d’avoir su en rendre compte. Sans perdre à un seul moment de vue le tragique du dénouement, on ne cesse de rire des situations, des maladresses ou du culot de Sonny. L’évènement ayant été l’un des plus suivi à la télévision américaine, Lumet ne joue pas sur le suspense et l’issue ne fait aucun doute. Là encore l’histoire plus que son dénouement est l’intérêt du film ; les liens qu’elle noue avec la société américaine, ce que Lumet y découvre de parlant et d’évocateur. Petit à petit nous découvrons avec la police le personnage de Sonny, la multiplicité de ses facettes et le mobile de son braquage, invraisemblable entre tous : payer l’opération de chirurgie nécessaire à transformer l’homme qu’il aime en femme. Le personnage de Sonny aurait pu être une invention d’Almodovar, il est un produit de la réalité. La même tonalité tragicomique dominait également dans Little Big Man d’Arthur Penn, deux ans avant, où là il s’agissait de rompre avec une histoire devenue mythique et de s’attaquer à un autre fondement du cinéma américain : le western. Les films de cette époque ont maille à partir avec le réel et remettent à leur place l’héroïsme, brouillent les relations entre le personnage et le spectateur en interrogeant l’adhésion du second au premier, appuyant sur son altérité. Il n’est plus question d’identification mais seulement de reconnaître la possibilité de l’humain en l’autre.
Les relations qu’entretiennent un personnage avec son cadre n’ont pas valeur d’explication mais de totalité. L’explication y demeure, secrète. Qu’est ce personnage marié à une femme, avec deux enfants, qui en vient à faire un braquage pour payer l’opération de l’homme qu’il aime en femme, qui suscite la sympathie de ceux qu’il prend en otage et le respect des policier ? Cela. S’il existe une mécanique c’est celle des évènements : la durée des heures, la progression du jour vers la nuit et la fatigue. Nul n’est requis de comprendre Sonny ni n’est exigé de le juger. Plus loin, il y aura bientôt Martin Scorsese et ce que partage Sonny avec Travis est moins important que ce que partagent les spectateurs devant Taxi Driver et Un Après-midi de chien, cette place étrange et inconfortable qui convoque en même temps la nullité d’un jugement moral et l’immensité d’une sympathie.
reno
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le 16 sept. 2012

Modifiée

le 19 sept. 2012

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reno

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