L’introduction d’Un divan à Tunis pose déjà un constat, à la fois la qualité et le blocage du long-métrage: la difficulté de la psychanalyse en moyen-orient, sorte d’anomalie, d'absurdité.
Ici, à Tunis, les réactions sont multiples et diverses.
Il y a celle de la police, incompréhensive et ridicule. L’obligation d’une autorisation de travail, qui mène à une maison qui rend fou, employeuse de cette bavarde secrétaire, et l’association du canapé avec la sexualité. Comme si une activité aussi intime que de se dénuder spirituellement tout en étant allongé, ne pouvait s’assimiler qu'à l'amitié ou le sexe. Cela se montre particulièrement lorsque, après un accident de la route, une des connaissances de la psychanalyste se livre à, en total improviste et intimité, mais toujours dans une perspective de psychanalyse. De la même manière, un des clients refuse de se séparer de sa psychanalyste comme s’il s’agissait d’une de ses connaissances.
Puis il y a la répulsion de certaines mégères du quartier. Pour elles, la psychanalyse ne se résume qu’aux bavardages et ragots que l’on énumère à sa coiffeuse. Il est donc impensable pour de tels personnes de se soumettre à elle, de la vouvoyer ou de se coucher devant elle pour se livrer entièrement.
Une psychanalyse d’une grande importance dans un tel pays, la Tunisie, pour la psychanalyste, au bord de la crise de nerf, et pour les clients.
Le comique boulanger bien sur, mais surtout le pays même, personnage à part entière.
Ses contradictions, comme cette nièce, féministe dans l'âme, mais poussée au mariage forcé. Ses absurdités, comme la religion qui pèse sur la société malgré les secrétaires débridées qui vendent aux passantes des sous-vêtements rembourres.
La relation entre le policier et la psychanalyste, tiraillée entre un érotisme ridicule et un rapport de supériorité, révèle un certain côté “control freak”, alors que plus tard ce même policier se fera botter les fesses par un apprenti Jackie Chan.
Une ode a la psychanalyse, donc. Malheureusement, cette ode se trouve finalement être un documentaire, un assemblage de saynètes.
Si la fin du film laisse passer une vision glorieuse de la psychanalyse, victorieuse, laissant la joie et la bonne humeur, c’est surtout car l’on ne traite que les deux principaux “patients”: le policier et le travesti. Le reste est abandonné, l’imam ou la mégère, et surtout la psychanalyste même, qui ne trouve la paix intérieure qu’artificiellement.
Celle-ci, et c’est la toute l’ironie, apprend progressivement qu’est n’est plus qu’une étrangère dans son propre pays natal, une immigrée. Partie à Paris, elle a drastiquement changée, au point de ne plus être reconnue. Cheveux frises, célibataire, sans voile, rebelle. Alors, la discrimination mène a la crise: au fur et à mesure, le tableau de Freud, ce frère musulman, se penche de plus en plus. Au cours d’une rencontre avec lui, qui fait déraper le film dans une de ses séquences les plus intéressantes, elle apprend à inverser sa relation, a devenir patiente au mieux de psychanalyste. Mais, contrairement à ce qui est attendue, elle ne trouve pas victoire dans cette séance: elle craque, et prétend repartir, juste avant de recevoir la miraculeuse autorisation. N’est-ce pas là contradictoire ? De même, lorsque notre héroïne porte exactement le même message à deux clients, l’intimiste profession est rendue industrielle. La psychanalyse n’a alors ni le premier ni le beau rôle du film, mais bien la bureaucratie. On préfère donc se souvenir d’une subtile dénonciation de l'absurdité d’une certaine culture moyen-orientale en ce XXIe siècle.
Du point de vue purement cinématographique et non social, il est clair qu’Un Divan a Tunis n’est pas un long-métrage de mise en scène, mais d’acteurs et de personnages.
Ainsi, on en vient même à confondre la jeune actrice iranienne, célébré pour son adolescence de rébellion, avec la moins célèbre réalisatrice, tant elle s’implique au point de sembler être la force créatrice du long-métrage. Problème: l’implication n’est pas forcément la réussite. Tante et nièce oscillent souvent entre mauvais jeu et dialogues d’une qualité inégale. Bizarrement, on préfère davantage les figurants ou seconds rôles, en osmose totale avec leur, petit, certes, rôle.
Un peu comme le film, qui ne réussit que quand il se sépare de la grandeur de son sujet, la psychanalyse, pour s'égarer merveilleusement dans les minimes détails, les étrangetés, tel une boite de mouchoirs dans la limousine de Sigmund Freud. Mais l’effet obtenu est alors radical: une grande inégalité, dans le propos, dans le scénario et dans le jeu.