Un frisson dans la nuit par ChrisBur
"Play Misty for Me" : le minimalisme selon Clint Eastwood, ou "la méthode du ver coupé qui se tortille, trois minutes avant qu'on ne le grille au barbecue" : comment ébaucher une romance en pointillé, et parallèlement, quelque chose de très, très hard, le tout sans jamais avoir l'air d'y toucher, quand on sait par avance qu'on va se retrouver dans le collimateur des journalistes, et que tout le monde vous attend au tournant ...
Un film, rappelons-le, c'est avant tout une histoire de désir. Sous les apparences d'une intrigue prétexte, l'intérêt qu'on peut porter à ce petit film tient principalement à la limitation (lancinante) d'un désir de cinéma, tel que l'exprime le réalisateur, désir bridé tout à la fois par un budget réduit et le souci de "faire du fauteuil", sans trop choquer quiconque. De ce point de vue, "Play Misty for Me" est paradoxalement un récit en demi-teintes, lequel finalement suggère beaucoup, mais parle peu.
D'un bout à l'autre du récit, on reste donc dans le domaine du rêve, des chiens de faïence et du méta-discours. Toujours vissée, toujours recadrée, la narration - placée ici sous haute surveillance - ne demande qu'une chose : ruer dans les brancards, tout en refusant de plonger dans des transgressions dont Eastwood pressent qu'elle resteront toujours de pure forme, s'agissant d'un film "West Coast". En conséquence, le film aligne les signes du possible, les signes du souhaitable, les signes de l'impensable, tout ceci avec un maximum de bonne volonté. Afficher, le film ne fait d'ailleurs que cela : pour signaler l'impensé radical, rien ne vaut une chemise fluo à col ouvert et l'une de ces bonnes vieilles nanas psychotiques, placée en embuscade dans le décor ... Dans le même temps, et fort curieusement, Eastwood refuse tout à la fois les solutions narratives efficaces - mais simplistes - chères à John Carpenter, et cette théâtralité brutale, hyperfigurative, qui trouvera à s'exprimer (plus tard) chez De Palma. En cela Clint Eastwood se montre bon disciple d'un cinéma "juste milieu" efficace et faussement simple, à la manière de Don Siegel.
Placé à la croisée des chemins, le spectateur non averti se retrouve donc confronté à une entreprise de maximisation sous contraintes, ce qu'on appelle là-bas un film "indépendant".
Très indirectement, le film tente d' indiquer ce qu'il convient de faire, de ne pas faire, quand on est auteur/acteur/réalisateur, qu'on tourne son premier film et que l'essentiel, c'est : comment éviter les coups, ceux de la critique new-yorkaise, ceux des camionneurs sur la route d'Oakland. Pour cette très mauvaise raison (hautement cinéphilique ?) "Play Misty for Me" est l'un des rares films de Clint Eastwood que j'apprécie vraiment.