UN HÉROS – 17/20
Asghar Farhadi confirme avec Un Héros son statut de maître du thriller social. De retour en Iran après l’expérience espagnole Nobody Knows, il livre une fable moderne et incisive sur le rapport à la...
le 2 déc. 2021
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Nombreux sont les grands réalisateurs qui ont déçu, voire se sont même définitivement perdus lorsqu’ils se sont exilés, ou même lorsqu’ils ont filmé loin de leurs racines. Le retour d’Asghar Farhadi en Iran, à un sujet iranien, après un détour peu concluant par l’Espagne, est une excellente nouvelle pour les cinéphiles, et la réception quasi triomphale de son "Un Héros" à Cannes laissait attendre de sa part un nouveau grand film. Ce n’est malheureusement pas vraiment le cas, même si le film est très impressionnant dans la manière dont il enserre le spectateur dans une sorte de piège narratif qui se resserre implacablement sur lui, autant que sur ses personnages.
Rahim est en prison pour ne pas avoir pu honorer une dette envers un créancier qui a porté plainte contre lui. Il voit l’occasion de négocier avec son accusateur lorsque sa maîtresse trouve un sac à main contenant 17 pièces d’or qui lui permettraient de rembourser partiellement la somme due. Mais, par suite d’un certain nombre de mauvaises décisions et de hasards malencontreux, les choses ne se dérouleront pas comme prévu…
Adoptant la forme très contemporaine du thriller et construisant une tension impressionnante en accumulant rebondissements et retournements de situation incessants, à la manière d’un polar à la mode, Farhadi va explorer en deux heures asphyxiantes toutes les voies d’un possible salut pour son “héros” pour finir par… (il vaut mieux en dire le moins possible sur l’histoire, très complexe, de "Un Héros" !). Ce faisant, et on comprend bien que c’est là l’un des objectifs de Farhadi, il nous livre – sans avoir l’air d’y toucher, probablement pour ne courir aucun risque avec la censure iranienne – une radiographie assez affolante de la société : position d’infériorité de la femme, situation socio-économique générale désastreuse, fonctionnement des institutions – comme ici la prison – basé sur des arrangements personnels, et surtout cette perte complète de repères moraux qui autorise, comme on le voyait aussi dans "la Loi de Téhéran", à peu près tous les comportements, pourvu qu’ils « sauvent les apparences ».
Ce qui ne veut pas dire que la « critique sociale » derrière "Un Héros" soit purement locale, puisque le principal moteur de la fiction est l’omniprésence des réseaux sociaux – et dans une moindre mesure, de la télévision : c’est là où se livre la vraie bataille de l’image et donc de la réputation (bonne ou mauvaise, elle peut changer le destin de Rahim…), bien plus que dans la « vraie vie », qui ne semble exister que comme réservoir d’images et de discours qui peuvent être ensuite diffusés, détournés et digérés. Il serait tout-à-fait envisageable de raconter à peu près la même histoire en Occident, et on imagine bien Hollywood (ou Netflix) nous en proposer d’ici peu un remake US !
Ce qui est intéressant dans "Un Héros", c’est que, sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit là d’une volonté de son auteur, il est possible d’avoir deux lectures totalement opposées du film : on peut voir Rahim comme une innocente victime de sa maladresse et des circonstances, ou bien au contraire comme une abominable crapule que la réalité de ses actes met peu à peu à jour. Cette ambiguïté du personnage, accentuée par un jeu figé (très limité, en fait) d’Amir Jadidi, jamais convaincant et donc parfaitement en phase avec son personnage, fait finalement le prix du film. Ou des discussions entre cinéphiles au sortir du film sur la morale ou l’absence de morale de "Un Héros".
Dans tous les cas, il est permis de trouver "Un Héros" parfaitement étouffant : le labyrinthe de péripéties que construit Farhadi et dans lequel se perd Rahim a quelque chose de terriblement artificiel, comme si l’auteur prenait la position d’un juge et bourreau tout puissant capable de faire subir à ses personnages tous les sévices qui lui viennent à l’esprit. Cela rend le film de plus en plus antipathique au fur et à mesure qu’il progresse, jusqu’à une dernière scène, qui, miracle du cinéma, est la plus belle de tout le film : en jouant avec le temps et la profondeur de champ (on a pensé à De Palma, à ce moment-là, mais la durée de la scène, ainsi que l’absence – enfin ! – de tension l’affranchissait heureusement du soupçon d’artificialité), Farhadi nous montre sans qu’aucune parole ne soit réellement audible, le futur de son « héros ». C’est très beau, et ça prouve, plus que tout le reste du film, que Farhadi n’a rien perdu de son talent.
[Critique écrite en 2021]
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Créée
le 21 déc. 2021
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