Il est difficile de visionner « Un Homme intègre » sans songer à « Michael Kohlhaas » (2013), le superbe film d’Arnaud des Pallières, tant par la thématique - un homme seul se révolte contre la collusion qui gangrène son pays et l’atteint personnellement - que par l’interprétation du personnage principal - raidi, cabré dans sa révolte, le regard sombre et les traits durcis.


Le contexte, l’époque, diffèrent, puisque nous sommes ici dans un Iran à peu près contemporain. L’objet du litige également : ici, une société privée, déshonnête, entend acquérir, par tous les moyens, les terres occupées par un modeste pisciculteur, Reza (Reza Akhlaghirad), qui s’est installé, avec sa femme et son fils, loin de Téhéran, dont il est pourtant originaire. Une recherche de calme et de tranquillité qui ne le préserve pas d’une société dysfonctionnelle, soutenue par un État tout aussi véreux. Comme Kohlhaas, se refusant à subir et à s’incliner, Reza se dressera contre ces autorités imbriquées, mais ce qui s’apparente à une rébellion ne se fera pas sans dommage.


Toutefois, les moyens mobilisés pour cette révolte divergeront puisque, là où Kohlhaas choisissait les armes, son frère iranien adopte la ruse et la dissimulation. L’issue, de façon logique, sera autre également : violemment contrastée chez Arnaud des Pallières, adaptant Kleist ; sournoisement ambiguë, et porteuse d’une sourde menace jusque dans la promotion, chez le réalisateur et producteur Mohammad Rasoulof. Il est à noter que le cinéaste, dont les films se voient interdits de diffusion les uns après les autres dans son pays et qui se retrouve en personne condamné, jouissant d’une liberté limitée, est lui-même assez parent, dans son positionnement et son destin, du héros allemand.


De belles thématiques, spécifiques à cette œuvre, parcourent le film, offrant toutes de superbes images : les petits poissons, élevés par le héros dans de grands étangs à l’air libre, évoquent, par leur frétillement joliment scintillant de rouge, une vie affranchie et bouillonnante, rendant d’autant plus scandaleux le destin qui leur est réservé. La présence aquatique se manifeste aussi dans la grotte cachée, tellement somptueuse qu’elle en est presque irréelle, avec son eau lactée, dans laquelle Reza aime à s’immerger, solitaire et immobile, lorsqu’il souhaite s’abîmer dans ses pensées. Les étangs, réseau d’eau que dessinent quelques chemins de terre et au bord desquels se dresse une haute maison, aussi rassurante que vulnérable, fournissent également quelques plans superbes.


Mohammad Rasoulof signe donc ici une déclinaison très personnelle et sensible d’un thème ancien. Découverte d’autant plus troublante, pour le spectateur occidental, que le destin affronté par le héros ne se distingue pas totalement de celui que connaît son réalisateur...

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le 13 févr. 2018

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Anne Schneider

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