Shahdov, roi déchu d’Estrovie, vient chercher refuge à New York. Nous sommes en 1957, Chaplin est devenu non desirata depuis 1952 au pays de la liberté, son visa n’a pas été renouvelé alors qu’il était en tournée en Europe. Par ailleurs le vagabond que Chaplin avait incarné pendant des années n’est plus. Il a disparu avec les talkies. Sa dernière apparition s’est produite dans Les Temps Modernes où il avait malgré tout prononcé quelques mots mais uniquement pour tourner en dérision le cinéma parlant.
Chaplin vit désormais en Suisse, mais voilà qu’il trouve le moyen de retourner – fictivement – aux États-Unis et il va le faire avec ce film. Il ne reviendra pas en vagabond, mais en roi déchu qui correspond à sa nouvelle condition. Lui qui a été le roi du cinéma muet ne connaît plus le succès qui était le sien auparavant. Mais plus profondément encore, ce personnage incarne un homme en exil par rapport au monde tel qu’il est. Il est porteur de valeurs auxquelles les sociétés qu’il traverse sont étrangères : il parle d’énergie atomique utilisée pour la paix, il refuse la consommation de masse, il veut éduquer. plutôt que manipuler. Pourtant son personnage doit céder face à la réalité et se vendre pour vivre. Comment résister à 10000 dollars pour dire miam miam lorsque l’on est ruiné ?
A côté du personnage du roi, il y a l’enfant. A l’époque du muet, Chaplin pouvait faire passer ses messages grâce aux pantomimes, c’était un détour pour dénoncer le pouvoir, l’instrumentalisation de l’homme par l’homme, les idéologies. A présent, il est un roi vieillissant, que l’on sent usé et un peu mélancolique. Avec l’avènement du cinéma parlant, il ne peut plus user de la pantomime alors il va faire un autre détour en passant par le personnage de Rupert, l’enfant révolté, ultra-lucide, politiquement éveillé, moralement structuré, capable de dénoncer avec précision et sans aucune compromission l’endoctrinement, la peur, la trahison. Ce que Chaplin ne peut dire ouvertement, car bien qu’exilé il est sous surveillance idéologique, il le fait dire par Rupert qui est son porte-parole.
Si le vagabond a disparu, le Chaplin des films muets trouve à faire son apparition brièvement le temps de quelques séquences comme celle où avec son assistant il cherche à regarder par le trou de la serrure de la chambre d’hôtel une jolie femme prenant son bain.
A King in New York est une œuvre personnelle de Chaplin comme tous ses longs métrages, il y a exprimé ce qui lui tenait à cœur à ce moment là, en cette époque particulière de sa vie, où il n’était plus autorisé à revenir aux États-Unis et accusé de communisme. Il a pu se « défouler » aussi sur le pays qui l’a rejeté, lors d’une séquence absolument jubilatoire ! Le roi Shadov perd le contrôle de la lance à incendie et asperge les juges, les policiers et les représentants de l’autorité. C’est un grand moment de satire et de délivrance symbolique. On peut se représenter la chasse aux sorcières sévissant aux États-Unis, le climat de suspicion et de dénonciation, les procès absurdes qui ont lieu, comme un feu qui détruit le pays. Et Chaplin prend un plaisir fou à éteindre cet incendie et nous à le regarder ! Comme on aimerait pouvoir faire comme lui aujourd’hui face à certaines situations dans le monde !
Chaplin n’a pas voulu que son film sorte aux États-Unis, il savait qu’il risquait d’être mal reçu en raison de la position ouvertement critique adoptée et aucun distributeur américain n’a pris le risque de s’attirer des ennuis en important ce film satirique. A King in New York sortira en 1973 alors que le climat politique a changé. Chaplin a reçu en 1972 un oscar d’honneur : les États-Unis cherchent à se réconcilier avec lui symboliquement. Le film est alors enfin projeté l’année suivante.
Le Roi : Dans ce pays, les règles répondent aux vœux des citoyens libres.
L’enfant : Voyagez un peu, vous verrez s’ils sont libres. (…) Tout le monde en camisole de force et si vous n’avez pas de passeport, impossible de bouger ! Ils violent le droit naturel de chaque citoyen ! (…) Si on ne pense pas comme eux, plus de passeport ! Sortir d’un pays, c’est s’évader de prison ! Entrer dans un pays, passer par le chas d’une aiguille. Puis-je voyager ? (…) Pas sans passeport ! Les animaux ont-ils des passeports ? Quelle absurdité ! En cet âge de l’atome et de la vitesse, nous sommes bouclés par les passeports !