Eka (Hari Santika) est un jeune Balinais de 25 ans, tantôt vendeur de poissons, tantôt chauffeur VTC. Un soir, il prend la défense d'Arthur (Alexis Barbossa) un Français en passe de se faire agresser par une bande de voyous. Pour le remercier, ce dernier l'invite à déjeuner dans sa somptueuse villa, et lui présente le reste de sa famille expatriée sur l'Île des Dieux : ses parents, des rentiers très certainement, et sa sœur Margaux (Dorcas Coppin), dont Eka tombe sous le charme dès le premier regard. Margaux est une jeune pianiste, douée et perfectionniste, qui consacre ses journées à répéter sur son Steinway & Sons, et qui ne se laisse pas approcher si facilement. Après avoir accepté, sans une once d'hésitation, le poste de jardinier dans la belle masure familiale, Eka prend son courage à deux mains, et demande à Margaux de lui enseigner le piano. Longtemps réticente, la jeune femme finit tout de même par accepter. D'abord rigoureuses, les séances de travail se transforment progressivement en moments suspendus propices à la naissance d'une idylle. La musique prend ainsi une place de plus en plus grande dans la petite vie d'Eka. Avec son peu d'économies, il s'offre un synthétiseur en fin de vie, et compose dès qu'il en a l'occasion, quitte à réveiller au beau milieu de la nuit sa sœur et son beau-frère, chez qui il loge. Eka progresse rapidement mais brûle les étapes. À peine pianote-t-il une mélodie, qu'il s'enregistre et envoie des CD aux labels du monde entier, espérant être remarqué et reconnu. Les quelques réponses qu'il obtient sont négatives mais ne semblent pas l'atteindre, car Eka est persuadé d'avoir un don, et qu'il parviendra à se faire une place dans le milieu musical. Margaux se désole de sa vanité, et tente de lui en faire prendre conscience, en vain. Comme ses parents ne voient pas leur relation d'un très bon œil, la jeune femme y met un terme, et laisse l'égo d'Eka à un moment charnière de sa pseudo carrière, entre doute et excès d'ambition.


**Un jeune démiurge**

Inspiré du roman à succès Martin Eden de Jack London, Arnold de Parscau (Ablations) a transposé la folle ascension d'un jeune homme avide de culture et de reconnaissance dans un Bali vert, préservé, en somme : l'endroit idéal pour une lune de miel réussie. Martin s'appelle désormais Eka, et à défaut d'écrire des romans, compose avec habileté de la musique classique. Ce choc des cultures des classes sociales est toutefois identique, et met en exergue le prix à payer de la célébrité dans un contexte de création. Vaut-il mieux se satisfaire de composer dans l'anonymat, ou bien connaître le succès et l'apprécier seul ? Est-ce l’œuvre qui compte ou le fait d'être reconnu ?


**La musique, un personnage à part entière**

La place de la musique tient un rôle capital dans Une barque sur l'océan, puisqu'elle y figure dès le titre, éponyme du célèbre morceau signé par Ravel, que l'on entendait déjà avec plaisir dans Call me by your name de Luca Guadagnino. Elle illustre à la fois la démarche de séduction du jeune Balinais néophyte, tout en lui permettant d'accéder à une classe sociale aisée. Puisqu'Eka ne connaît rien de la culture classique occidentale, plusieurs séquences d'analyse des intentions des compositeurs célèbres profitent également au spectateur. La barque sur l'océan, morceau récurrent du film, s'intègre à une longue liste d'autres partitions classiques, que le compositeur Cyrille Marchesseau a homogénéisé, afin d'obtenir une BO harmonieuse.


**Idylle à l'Île des Dieux**

Présentés dans un écrin sublime, Eka, interprété par Hari Santika, comédien non professionnel, forme aux côtés de Margaux, incarnée par Dorcas Coppin, un duo qui donne toute sa véracité à cette romance tragique.
Bali offre des décors somptueux qui subliment cette histoire impossible, tout en mettant en valeur les nombreux échanges de regards des protagonistes. L'image de façon générale est l'un des points forts du film. On pourrait presque en faire une exposition de photogrammes, tant certains plans sont à couper le souffle. Par ailleurs, du fait d'un budget réduit, Arnold de Parscau a été contraint d'occuper la place de directeur de la photographie, équipe réduite à lui seul, ce qui lui a paradoxalement permis de tourner certaines séquences délicates et impressionnantes, notamment celle d'un combat de coqs.


Une barque sur l'océan est une parenthèse enchanteresse qui questionne notre morale et nos désirs, futiles ou non, à l'heure où bon nombre de jeunes souhaitent percer à tout prix. De plus, il est nécessaire de noter que Bali n'est jamais exotisé, mais sert simplement de décor réaliste à un drame autour d'un choc culturel.

Allin
7
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le 9 août 2020

Critique lue 597 fois

Allin

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