Ce film dirigé par Walter Lang, permet de profiter du couple Spencer Tracy/Katharine Hepburn dans un beau procédé couleurs (DeLuxe, très proche du Technicolor) de la plus belle époque (1957), même si le duo est un peu vieillissant (Spencer Tracy, 57 ans et cheveux blancs, Katharine Hepburn 50… ou 48 ans, toute en os). Bien entendu, Walter Lang propose une comédie typiquement hollywoodienne qui n’atteint pas l’intensité dramatique des films tournés par Fritz Lang avec qui il ne faudrait pas le confondre. Mais on se situe bien ici dans la tradition de la screwball comedy, avec des acteurs et actrices qui débitent leurs répliques sur un rythme effréné et affichent un impressionnant dynamisme.


L’aspect comédie se joue sur deux niveaux, les sentiments avec Bunny Watson (Katharine Hepburn) qui hésite entre deux hommes, mais aussi l’émergence de la machine (l’ordinateur) qui pourrait remplacer l’humain au travail. Même si certains détails simplificateurs font sourire (tout Hamlet sur quelques cartes perforées), il est intéressant de voir l’aspect de l’ordinateur aux dimensions monumentales tout ce qu’il y a de plus crédibles (à part l’écran qui vise plutôt du côté de la Science-Fiction), qui me rappelle le premier ordinateur que j’ai pu voir, dans un IUT au cours des années 1970. Il était tellement volumineux qu’il occupait une pièce entière !


L’aspect comédie sentimentale permet de maintenir un premier suspense qui court jusqu’à la fin, alors qu’il n’émerge que progressivement. En effet, Bunny sort avec un collègue, Mike Cutler (Gig Young) depuis 7 ans (7 ans de réflexion…) celui-ci ayant tendance à jouer les courants d’air. On remarque d’ailleurs que leurs tête-à-tête laissent d’abord planer un doute sur la nature de leurs relations. Il la serre contre lui et l’embrasse, mais on sent comme une certaine réticence. Tout cela s’explique par la date de production et le trop fameux code Hays qui conservait encore une certaine influence sur le milieu du cinéma, malgré son abandon en 1954. Il faut dire également que Walter Lang présente l’adaptation d’une pièce de théâtre signée William Marchant, alors que le scénario du film est cosigné Phoebe et Henry Ephron. La présence de Richard Sumner (Spencer Tracy) est d’abord évaluée comme menaçante (d’abord vaguement puis de façon plus précise), puisqu’il investit l’espace de la documentation, dans la société où travaillent Bunny et un trio de jeunes femmes (Peg, Sylvia et Ruthie) sans qu’on sache vraiment pourquoi (la direction, en la personne de Mr. Azae - Nicholas Joy - lui a demandé le secret). Et puis, un soir de pluie violente, Bunny qui rentre chez elle propose à Sumner (peut-être pour tromper sa solitude, Mike étant encore en déplacement, à moins que ce soit pour en savoir plus sur les projets de Sumner), d’entrer, de se sécher et de dîner. C’est quand ils sont attablés en tenues de détente que Mike choisit de rentrer à l’improviste. La jalousie s’installe alors que Bunny n’avait aucune intention particulière. Tout juste si elle peut se demander (avec les spectateurs) ce qui lui a pris de faire cette proposition à Sumner. Cela suffit évidemment pour que le doute s’installe.


L’apparition de l’informatique dans une vie de bureau bien réglée amène de nombreuses situations où la comédie s’exprime. Le plus réussi vient avant qu’on sache à quoi s’en tenir, alors que Spencer interroge Katharine pour tester ses capacités de mémorisation. Elle se révèle incroyablement capable, grâce à des moyens mnémotechniques très personnels. Le but est évidemment de montrer que la machine n’arrivera jamais à faire comme elle, mais elle le fait avec un tel naturel que c’est confondant. Autre réussite, les péripéties dues à la crainte des documentalistes de se retrouver au chômage, car devenues inutiles.


Sans temps mort, mais avec quand même quelques longueurs (parfois, dans ce bureau où l’on s’apprête à fêter Noël, toute cette agitation apparaît un peu superficielle), Walter Lang propose une comédie de qualité qui joue donc sur deux tableaux. Le couple Spencer Tracy/Katharine Hepburn (9 films tournés ensemble, le premier étant La femme de l’année) réuni ici a fait les délices du public qui se réjouissait de les observer à l’écran sachant qu’ils vivaient ensemble. On peut dire qu’ici encore leur complicité fonctionne bien. Le suspense concernant l’avenir de leur possible relation monte crescendo dans le film, pour rejoindre le suspense concernant l’utilisation de l’informatique. Ces demoiselles ont l’habitude de répondre à des demandes téléphoniques, des plus évidentes au plus improbables. Leur expérience leur permet des réponses étonnantes, entre autres parce qu’elles savent que les mêmes questions reviennent périodiquement, justement comme à l’approche de Noël.


Là, pour tester EMMERAC (l’ordinateur), Sumner joue finalement le tout pour le tout en demandant :


« Bunny doit-elle épouser Mike ? »


On notera déjà l’utilisation d’une phrase, pratique désuète puisque les mots clé devraient suffire (mais Google n’existait pas…) Surtout, un minimum de réflexion permet de dire que la situation va largement au-delà du plausible, même si auparavant, on a appris que la mémoire de l’ordinateur avait été alimentée par toutes les données à disposition. Et ces demoiselles ont beau jeu de laisser l’ordinateur tourner avec des questions dont elles savent bien qu’il peut toujours chercher, alors qu’elles connaissent parfaitement les réponses.


Le film se veut donc rassurant sur l’avenir des humains dans l’entreprise. Le rôle de l’ordinateur sera juste de les délivrer de certaines tâches, pour leur donner davantage de temps pour des activités plus épanouissantes.


C’était probablement satisfaisant et acceptable en 1957, surtout dans une situation de cinéma, un peu idéaliste néanmoins. Depuis, les choses ont évolué et une véritable révolution s’est mise en marche de manière inéluctable et on ne sait même plus jusqu’où tout cela peut nous mener !

Electron
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le 19 déc. 2019

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