Critique à ne lire qu'après avoir vu le film.


Je ne connaissais David Lynch qu'à travers "Elephant man". Le thème de cet autre film m'a intriguée et j'ai voulu le voir.


Nous découvrons une petite cité agricole, Laurens de l' Iowa. La caméra se resserre doucement sur une maison aux encadrements bleus, elle la contourne. Tout paraît calme, paisible. Un gros plan sur la fenêtre, la porte, attire notre attention. On pressent que quelque chose se prépare, puis soudain, provenant de l'intérieur, un bruit sourd suivi d'un cri vite étouffé. On découvrira plus tard qu'Alvin Straight, un homme âgé, a fait une mauvaise chute. Il apprend également que son frère, Lyle, vient d'avoir une attaque. Les deux hommes ne se parlent plus depuis une dizaine d'années. Il souhaite le revoir mais pour cela il va devoir entreprendre un voyage de plusieurs centaines de kilomètres pour le rejoindre. Jusque-là rien d'exceptionnel me direz-vous. Mais il n'a pas de permis de conduire, a une mauvaise vue et n'aime pas être conduit. Que faire ?


Il choisit d'entreprendre ce voyage, et son moyen de transport sera un petit tracteur qu'il utilise pour tondre son gazon auquel il accrochera une remorque en bois qui lui servira de refuge pour dormir, tel un "escargot" qui transporte sa maison.


Son "pèlerinage" peut maintenant commencer. Débute alors un road movie contemplatif qui va cheminer doucement à la vitesse d'une tondeuse à gazon.


Dès le début, les ennuis commencent. Un retour en arrière lui sera imposé, puis un nouveau départ malgré les protestations de ses amis qui le supplient de renoncer à ce projet complètement fou.


Sur la route, les voitures, les camions le doublent, et le déplacement d'air provoqué par ces dépassements fait s'envoler son stetson. Il prendra, lui, le temps de s'arrêter pour le récupérer. La lenteur est alors une composante essentielle de ce film : le choix d'un véhicule complètement inapproprié pour entreprendre un tel voyage, la gestuelle du vieil homme, les paysages qui défilent lentement, la plénitude des champs de maïs, la route droite qui semble infinie avec cette ligne jaune qui défile inexorablement. On notera également les magnifiques couchers de soleil enflammant les champs de blé, le ciel constellé d'étoiles. Le film a été tourné en automne, saison qui évoque également l'automne de la vie de cet homme.


Au cours de son périple, il va faire plusieurs rencontres.



  • Une jeune fille, en fugue, un peu perdue et dépassée par les événements à qui il rappellera l'importance d'une famille soudée. Cela le renvoie à sa propre vie.


  • Une femme en voiture qui tue accidentellement un daim, accident qui d'après ses dires, se reproduit plusieurs fois par semaine. On est dėstabilisé par le comportement de cette femme quelque peu hystérique. Une allusion peut-être à la folie de la vie moderne où nous ne prenons plus le temps de "ralentir" notre rythme de vie qui nous prive de toute objectivité.


  • Un groupe de jeunes cyclistes qui le dépassent à vive allure, une opposition entre une Amérique vieillie, épuisée, et la jeune Amérique qui n'a pas de temps à perdre. Le soir, Alvin arrive dans le camping de ces mêmes cyclistes. Tout le monde le salue. Là une conversation s'engage sur le temps qui passe, sur la vieillesse.




le pire de la vieillesse c'est de se rappeler sa jeunesse.




  • Des personnes lui proposeront également de l'emmener en voiture pour aller plus vite. Mais lui refusera, préférant finir son voyage à sa façon. Il est parfaitement conscient que ce sera le dernier et il tient à maîtriser pleinement cette fin annoncée. J'ai parlé tout à l'heure de l'automne de sa vie, maintenant c'est l'hiver pour lui et il le sait.


  • Un vétéran de la seconde guerre mondiale avec qui il évoquera toutes les atrocités de cette guerre et qui va lui permettre de se libérer d'un lourd fardeau enfoui en lui depuis de très nombreuses années. Ces rencontres vont changer les personnes qu'il croise mais surtout lui-même.


  • Et puis un révérend qui échange avec lui sur la nécessité du pardon.




Je veux faire la paix avec mon frère. Je veux juste être assis avec lui, contempler les étoiles comme avant.



Tout semble s'être réuni, comme les pièces d'un puzzle afin qu'il puisse retrouver son frère : un acte mûrement réfléchi, le refus de l'abandon, la joie d'une famille à nouveau soudée, l'évocation du temps qui passe, la persévérance, la souffrance, l'abnégation et la joie du pardon.


Il retrouvera enfin son frère après un voyage de plusieurs semaines. Ils se regardent, tous les deux affaiblis, pas de paroles superflues, on prend le temps, on savoure les retrouvailles, l'émotion est palpable. Ils lèvent les yeux vers le ciel "comme avant" . Le pardon est scellé.


La musique est très belle et accompagne à merveille ce film.


L'acteur Richard Farnsworth nous livre une interprétation bouleversante et d'une grande justesse. Il ne joue pas, il est "Alvin" et l'on comprend pourquoi.



Atteint d'un cancer des os en phase terminale, le comédien était déjà très souffrant quand il a interprété le rôle titre de "The straight story" mais il avait voulu combattre sa maladie en relevant le défi que lui proposait David Lynch. Les doutes de l'acteur sur ses capacités d'interprétation se dissipèrent et il se lança dans cette aventure avec le talent et le bonheur que l'on sait.



Ne supportant plus toute cette souffrance qui ne faisait qu'empirer et qui le diminuait considérablement, il se suicidera un an plus tard.

Jim_Witt
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Mon top 100 films

Créée

le 12 nov. 2020

Critique lue 398 fois

20 j'aime

19 commentaires

Jim_Witt

Écrit par

Critique lue 398 fois

20
19

D'autres avis sur Une histoire vraie

Une histoire vraie
Jambalaya
10

Le voyage extraordinaire

Parfois on prend l’envie d’une critique d’un film tiré du top 10, pourtant avec Une Histoire Vraie on est dans l’improbable. Car ce film aurait pu ne jamais s’y retrouver, dans le top 10. Il faut...

le 4 juin 2013

86 j'aime

14

Une histoire vraie
SUNSELESS
9

Un fagot vaut mieux qu'une seule brindille.

Une histoire vraie est un road movie américain certes. Mais pas n'importe quel road movie. Le road movie d'un vieillard en tondeuse. Déjà. Dans ce film, pas d'effets spectaculaires, pas de scènes...

le 10 sept. 2011

49 j'aime

13

Une histoire vraie
Mr-Potatoes
10

Testament

David Lynch. Lui qui cache si habilement son humanisme derrière l'étrange et le délire, était sans doute le dernier que l'on imaginait sur un tel projet. Et pourtant... Avec l'épure (quasi) totale...

le 17 sept. 2014

49 j'aime

2

Du même critique

Mad Max - Fury Road
Jim_Witt
8

Mad Max Fury Road par Jim_Witt

Si vous regardez le dernier Mad Max Fury Road prenez le temps de regarder les bonus. Vous verrez tout le travail réalisé en amont de ce film. C'est impressionnant. Vous découvrirez que George Miller...

le 18 juin 2017

29 j'aime

17

Police fédérale Los Angeles
Jim_Witt
8

Contrefaçons ? Vous avez dit contrefaçons ?

(cette critique est susceptible de contenir des spoilers) Friedkin a déclaré : "ce film parle d'un monde de contrefaçons". Dès le début du film, un policier que l'on perçoit intègre se fait tuer...

le 22 juin 2018

26 j'aime

5

Louis Jourdan
Jim_Witt
8

Louis Jourdan

J'avais beaucoup aimé Louis Jourdan dans le film "lettre d'une inconnue " de Max Ophüls. J'avais envie d'en savoir plus sur lui, sa filmographie, sa vie de comédien. J'ai donc acheté ce livre dont...

le 28 févr. 2020

22 j'aime

21