La guerre civile est certainement une des pires expériences qu'un pays puisse subir. Le voisin serviable peut soudain devenir un délateur, les rancoeurs enfouies remontent à la surface, les jalousies vénéneuses s'habillent de convictions politiques et les haines recuites deviennent vertus civiques. Le pire peut désormais s'exprimer au grand jour.


La Seconde République espagnole proclamée par la gauche en 1931 est déchirée par une terrible guerre civile dès lors que Franco à la tête d'une armée séditieuse entame sa marche vers le pouvoir. Entre 1936 et 1939, l'Espagne est en guerre contre elle-même et la victoire de Francisco Franco appuyé par Mussolini et Hitler sera suivie d'une répression impitoyable qui jettera sur les routes de l'exil des centaines milliers de civils, entraînera des exécutions sommaires et destinera aux fosses communes des dizaines de milliers de combattants républicains et des civils.


Higinio est républicain et s'est engagé pour la défense d'une cause à laquelle il croit avec conviction. Les succès des séditieux franquistes ne présagent rien de rassurant et jour après jour leurs partisans dans la population relèvent la tête pendant que les républicains se mettent à craindre pour leur vie. La guerre civile, c'est cela. Hier dans la crainte, aujourd'hui dans la traque : une simple inversion des rôles.


Aidé par sa femme Rosa, Higinio craint pour sa vie et décide de se dissimuler dans une cache aménagée sous les marches d'un petit escalier. Il s'y cache le jour et s'y précipite à chaque visite de la police franquiste qui le cherche. Les rideaux et voilages de la petite maison sont confisqués et la porte d'entrée doit rester ouverte en permanence pour que tous les passants puissent voir ce qui s'y passe et en informer les autorités le cas échéant.


Une cache moins inconfortable et moins exigüe est aménagée dans la maison du père et la vie s'organise peu à peu dans la terreur et le mensonge sous la surveillance d'un voisin délateur zélé et convaincu que Higinio est là, vivant comme une taupe. Rosa et Higinio auront un enfant et un subterfuge le fera passer pour un neveu recueilli.


La famille vivra ainsi, cloîtrée et en une semi-clandestinité, pendant trente ans jusqu'à l'amnistie des anciens républicains en 1969.


Trois réalisateurs, Jon Garaño, Aitor Arregi et José Mari Goenaga, deux sénaristes, Oscar Corrales et Enrique Asenjo racontent et mettent en scène la vie de Rosa/Belén Cuesta et de Higinio/ Antonio de la Torre. Unité de lieu et d'éclairage en clair obscur, le temps qui s'est arrêté alors que nous devinons la vie qui continue et l'Espagne qui se transforme dehors sous un soleil brûlant et une lumière éclatante.


Le temps ne s'est pas seulement figé pour cette famille rassemblée autour d'une taupe, comme il y en eut des centaines en Espagne, il s'est figé également pour le voisin soupçonneux et harceleur qui veut venger un frère victime des républicains trois décennies plus tôt. Quand enfin il devine la planque et arrive à la certitude que Higinio est bien là, il se rend au poste de police pour le faire arrêter. La police semble avoir rangé ces histoires anciennes dans les vieilles lunes d'un passé révolu et le délateur parmi ceux qui ressassent à l'infini leurs délires.


Malgré son immense amour, Rosa est lasse de vivre en recluse et leur fils presque adulte n'en peut plus quant à lui d'appeler sa mère tata, de devoir sans cesse réinventer un père au loin alors qu'il vit là simplement séparé d'eux par une porte de buffet. L'amnistie est désormais en voie de promulgation mais Higinio soupçonne une ruse et se met à préfèrer la claustration et son univers désormais familier.


Rosa introduit la rupture. Elle s'inscrit à une sortie organisée pour le bord de la mer qui n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres. Après son départ, Higinio sort de son...antre, se risque prudemment au dehors, fait quelques pas dans la rue dans l'indifférence polie des passants. Sous une lumière éclatante, un soleil de plomb, la vie peut désormais reprendre un cours normal.


La liberté c'est cela également : marcher dans la rue à visage découvert, sans peur, croiser des voisins n'éprouvant aucune crainte, dans l'indifférence ou la convivialité, indépendamment des opinions de chacun, de sa religion ou de son athéisme, de ses origines, de son genre ou de la couleur de sa peau.

Freddy-Klein
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le 4 juin 2021

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