Gombo est un nomade vivant dans la steppe de la Mongolie Intérieure (province autonome de Chine), de l'exploitation de ses troupeaux, avec sa femme et ses deux enfants. Il voudrait un autre enfant mais sa femme, issue de la ville et plus pragmatique, refuse et lui enjoint de se procurer des préservatifs.


C'est alors que Sergueï, chauffeur russe, met son camion dans la rivière près de la yourte de Gombo. Fidèle à l'hospitalité mongole, Gombo invite Sergueï sous sa yourte, allant même jusqu'à tuer un mouton pour son invité. Et là premier choc culturel. C'est que chez les nomades on ne va pas chez le boucher.


Non, il s'agit d'inciser le ventre de la bête juste sous le sternum, ensuite d'entrer l'avant-bras dans la cage thoracique afin d'aller presser la carotide. Pas de cri, pas de sang versé. Cette méthode de mise à mort m'était inconnue avant de voir le film ce qui fait que je l'ai regardée avec la même candeur et le même étonnement que Sergueï. Je doute qui plus est qu'il y ait eu le moindre trucage dans ce film qui tient parfois plus du documentaire que de la fiction.


Lors de mon voyage en Mongolie, nous avons été convié à manger de la chèvre fraîchement abattue. Si nous avons pu assister au découpage de l'animal, il était déjà mort lors de notre retour à la yourte. Je n'ai pas pu m'empêcher de demander s'il avait été tué de cette façon. Et bien oui. Et d'apprendre qu'il ne faut pas que le sang de l'animal coule sur le sol (sans doute pour des raisons religieuses et/ou hygiéniques). Je regrette maintenant de ne pas avoir pu y assister. C'est le genre d'expérience dont on doit sortir différent.


Gombo accompagne ensuite Sergueï à la ville pour cette histoire de préservatif. Le choc des cultures s'inverse. La visite de Gombo à la pharmacie est assez cocasse. D'ailleurs, le film est bourré d'un humour que j'ai trouvé très proche de l'esprit mongol tel que je l'ai vécu. Alors chapeau au réalisateur russe !


La thématique tradition versus modernité est plus que récurrente dans le cinéma qui traite de la Mongolie actuelle. La façon dont les Mongols parviennent à intégrer la modernité tout en conservant certaines de leurs traditions donne parfois une impression étonnante d'anachronisme. De nouveau, après mon voyage, je ne peux que saluer la justesse et l'intemporalité de Urga (le film a plus de 20 ans). J'ai vu plus de Mongols à motocross qu'à cheval ; chaque yourte est équipée d'un panneau solaire et d'une antenne parabolique ; ils ont tous un téléphone portable (modèles d'il y a 10 ans pour nous). Mais aussi : quand nous sommes partis la femme de notre guide a jeté du lait pour nous souhaiter bonne chance dans notre voyage ; on tourne toujours autour des ovos dans le sens du soleil, même si cela implique de faire un détour ; on tue toujours la chèvre de façon traditionnelle.


Urga, c'est la perche-lasso dont les Mongols se servent pour attraper une bête dans le troupeau. C'est un bâton avec au bout une corde dans laquelle on passe la tête de l'animal qu'on veut attraper. Quand un couple batifole dans la steppe, elle est plantée dans le sol à la verticale. Elle est donc visible de loin et lance un signal "ne pas déranger" à qui passerait dans le coin. L'urga en tant qu'objet traditionnel et en tant que "marqueur sexuel" a une très forte connotation symbolique des thèmes portés par le film : la transmission, la tradition, la transmission de la tradition.


Dans cet article, on parle même de Urga ancien nom de la capitale mongole Oulan Bator, comme élément nostalgique de l'ancienne Mongolie ( cela me parait d'autant plus vrai que le film se passe en Mongolie Intérieure qui appartient aux Chinois, ennemis millénaires des Mongols).


Un titre qui est donc très porteur de sens sur le film.


Je conseille plus que vivement ce film à ceux qui aiment le cinéma qui traite de façon juste et sans mélodrame de sujets aussi importants que la gestion de la modernité dans une culture de type traditionnelle, à ceux qui aiment réfléchir aussi car ce film est bourré de symboles et bien sûr à ceux qui aiment la Mongolie et sa culture.


Les films Le chien jaune de Mongolie et L'histoire du chameau qui pleure sont dans la même lignée que Urga. Ils sont juste plus récents et donc plus faciles à trouver. Je trouve Urga plus profond, plus métaphorique et incitant davantage à la réflexion. La touche d'humour est aussi le plus de ce film.


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le 14 déc. 2014

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