Dans la filmographie majeure du grand cinéaste canadien David Cronenberg, "Vidéodrome" fait office d'oeuvre charnière.
D'une part, de par son côté ouvertement trash, gore et dérangeant, il vient refermer de manière efficace et logique le joli cycle "horreur imaginative" inauguré par ses premiers films que sont "Frissons", "Rage", "Chromosome 3" et "Scanners".
D'autre part, "Vidéodrome" ouvre la voie à toute une nouvelle série de films ("La Mouche", "Faux semblants", "Le Festin Nu", "Crash", "eXistenZ") situés à mi-chemin entre l'Horreur, le Fantastique et la S-F, se voulant plus ambitieux et plus réflexifs au niveau des thématiques abordés par Cronenberg depuis ses premiers pas cinématographique ; à savoir les rapports complexes entre l'homme et la machine, le virtuel et le corporel, le sexe et le sang ou encore le corps humain et la psychanalyse


A la fois métaphore de la société de consommation des images et triste constat des dérives de la télévision et de ses excès en terme de violence, de sexe et de voyeurisme, "Vidéodrome" est un film qui ne manque ni d'audace (dans tous les sens du terme) ni de courage.
En racontant l'histoire de Max Renn (interprété par James Woods), patron d'une petite chaîne de télévision câblée spécialisée dans la violence et le sexe, qui tombe par hasard sur un programme télé piraté nommé "Vidéodrome", Cronenberg s'interroge sur les limites entre réalité et fiction, entre le montrable et le non-montrable.
A l'image de Max, dont la lente descente aux enfers correspond à une envie d'aller toujours plus loin dans l'insoutenable et l'absence totale de limites, le cinéaste canadien n'hésite pas à recourir à des séquences-chocs pour mieux faire naître le doute dans l'esprit du spectateur, pour l'interroger sur ce qu'il est actuellement en train de regarder.


Le grand mérite du film étant que cette démonstration cathartique n'est jamais gratuite et reste toujours au service de l'histoire. Ainsi, plus Max s'enfonce dans le sordide (ses fantasmes sado-masochistes, sa poitrine qui se transforme littéralement en vagin absorbeur de cassette vidéos maléfiques ou encore son bras gauche entièrement recouvert de chaire morte), plus le film adopte un ton plus sombre, cauchemardesque et parfois même choquant.
Et pourtant, bien que l'on puisse aisément ressentir une légère pointe de dégoût au vu de certaines images très crues en terme de gore et de sexualité, on ne peut qu'être fasciné par la manière dont Cronenberg nous questionne sur notre manière d'aborder les images, de regarder la télévision, nous-autres spectateurs avide de nouveauté, de voyeurisme et de choses "interdites". Sur ce plan-là, on peut dire que "Vidéodrome" est très clairement un film en avance sur son temps dans la mesure où la télévision telle que nous la connaissons aujourd'hui ressemble à s'y méprendre à ce qu'il dénonce; à savoir l'avènement de la télé-réalité qui, à l'heure actuelle, s'impose encore et toujours de moins en moins de limites ou encore la pornographie qui se "dés-interdit" de plus en plus (qu'il s'agisse d'internet qui propose désormais de regarder des contenus pornographiques sans demande de limite d'âge et en toute gratuité ou encore de son installation par petites touches dans nombres de clips musicaux, de films estampillés "Art et Essai" tels ceux de Larry Clark et d'Harmony Korine, ou même dans des grosses pochades pour ados tels les 1ers "Scary Movie").


Sans jamais chercher à "choquer pour choquer" mais plutôt "choquer pour mieux faire réfléchir", Cronenberg rend compte à sa manière d'un monde à la dérive, qui en veut toujours plus en terme d'images et d'émotions fortes au point de s'auto-détruire. Pour se faire, le réalisateur utilise nombre d'effets spéciaux volontairement grotesques et quantité de litres de sang afin de dévoiler sur l'écran (de cinéma) toute une série de métaphores visuelles :



  • le visage de Max qui s'engouffre dans des lèvres féminines pulpeuses se trouvant à l'intérieur d'un écran de télévision,


  • un long bras (véritable métaphore phallique s'il en est) assorti d'un revolver à la main qui tente de sortir d'un écran virtuel,



-une hallucination de Max dévoilant un trône sur lequel figure rien moins qu'un écran de télévision devant lequel des spectateurs-consommateurs se prosternent.


Ces différents exemples qui entremêlent à la fois la télévision, le sexe et la violence sont là pour annoncer, de manière on ne peu plus métaphorique, les tristes dérives vers lesquelles pourrait basculer la télévision si elle continue à "satisfaire" de manière nonchalante et désacralisé les penchants les plus inavouables de spectateur en terme de violence, de sexualité et d'interdits.


En somme, presque 35 ans après sa découverte en salles, "Vidéodrome", bien que ses effets visuels aient quelque peu vieillis avec le temps, n'en finit pas de fasciner de par son propos à la fois réflexif, provocateur, dérangeant et terriblement critique.


Rendant compte d'une société qui se perd dans ses propres composantes (la violence, le sexe, l'addiction télévisuelle et virtuelle, la fascination de plus en plus ambigüe pour la fiction), Cronenberg signe un film à la puissance visuelle fascinante (rarement de telles images de cinéma auront été si loin en terme d'inventivité filmique, entremêlant à la fois le trash, le gore et le sexy) qui renforce d'avantage son cinglant constat, le tout servi par une belle distribution (James Woods à la fois abject, vulnérable et finalement touchant dans la peau du pauvre Max Renn, Déborah Harry sensuelle et troublante dans le rôle de la brune Nicky, sorte de femme fatale virtuelle).


Une oeuvre majeure à plus d'un titre. Qu'on le trouve fascinant ou au contraire qu'on le trouve dégoûtant ou trop trash, "Vidéodrome" fait partie de ces films qui ne cesseront jamais de faire parler d'eux.


Et, dans le fond, c'est aussi un peu ça qui fait la magie du cinéma !

f_bruwier_hotmail_be
9

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le 1 sept. 2017

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