Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas le cinéma de Jean-Pierre Mocky (décédé le 8 août 2019), voilà un film qui permet de s’en faire une bonne idée tout en méditant sur le sort des villes lorraines qui ont souffert de la fermeture progressive des aciéries.


Réputé comme tournant rapidement, en franc-tireur à l’esprit proche de l’anarchie, sans le souci de boucler un scénario équilibré, Mocky ne déroge pas à cette règle avec Ville à vendre. Il présente une ville du Pays-Haut où l’affichage montre bien la détresse humaine : à Moussin, tout est à vendre ! 8 habitants sur 10 sont sans emploi. Par contre, le maire (Michel Serrault) est très bien vu de ses administrés, car ceux-ci touchent une prime de chômage plutôt généreuse.


Le début du film montre une procession étonnante où beaucoup sont à cheval. On y découvre un casting éblouissant. On remarque d’abord la coiffure indescriptible (voir l’affiche) de Delphine Martinet (Jacqueline Maillan). Delphine affiche une prétention certaine en parlant à sa copine Eva (Dominique Lavanant) en annonçant qu’elle va prononcer un discours mémorable en évoquant les sujets tabous que sont « le cul et le chômage. »


Mais à la fête, après avoir observé avec dépit des couples danser, la frustrée Delphine est prise d’un malaise. On lui fait une piqure et on l’évacue vers l’hôpital le plus proche. Malheureusement, la voiture débouche trop vite d’un virage d’où surgit un tracteur. Delphine meurt dans l’accident. Accident observé d’une hauteur par Orphée (Tom Novembre) un jeune parisien désœuvré qui va s’improviser enquêteur.


Orphée fait du rentre-dedans à la charmante et insolente Elvire (Valérie Mairesse) comme dans les meilleurs films noirs made in USA (voir par exemple Le grand sommeil avec Humphrey Bogart). D’ailleurs, comme dans ces films, l’intrigue est tortueuse à souhaits et passe au second plan. On s’amuse beaucoup plus des dialogues signés Pierre Courville dans la droite ligne de ceux de Michel Audiard. Cela permet de passer sur une mise en scène juste destinée à illustrer le scénario.


Jean-Pierre Mocky croque une galerie de personnages tous plus réjouissants les uns que les autres. Cela va du maire au vétérinaire Bingo (Darry Cowl) en passant par les docteurs Chardon (Eddy Mitchell) et Monnerie (Richard Bohringer), le vétérinaire Boulard (Philippe Léotard) ainsi que le pharmacien Picoud (Féodor Atkine) concurrent de Delphine chez qui Elvire travaille. N’oublions pas Bernadette Lafont en inspectrice improbable.


Avec la mort de Delphine, Elvire hérite d’un joli magot. D’où vient cet argent ? La pharmacie rapporte, mais dans une ville minée par le chômage, cela semble énorme.


Il se passe des événements bizarres, puisque certains reçoivent des coups de fils improbables. Le docteur Hermine Malorne (Laure Grandt, très séduisante malgré des cheveux blancs) séduirait bien Orphée pour rendre jaloux ses deux amants. Quant au cadavre de Delphine, une fois il est dans sa tombe, une fois il n’y est pas. Sans compter que la cause réelle de la mort reste suspecte.


Il y a donc beaucoup de situations imprévisibles et réjouissantes mises en valeur par des répliques hilarantes, telles que « Le paradoxe des hommes, c’est qu’ils se collent les uns contre les autres lorsqu’ils ont besoin d’air » prononcée par Delphine ou encore « Exercice illégal de la médecine légale » par un médecin de campagne (Michel Constantin) venu d’on ne sait trop où. Et la réplique qui illustre le mieux l’esprit de Mocky le moqueur, par Bingo « La connerie bénéficie d’une amnistie permanente. »


Quant au capitaine de gendarmerie Montier (Daniel Prévost) il se shoote régulièrement, alors qu’il censé mener son enquête…


Un film qui sent un peu la comédie (grinçante) de boulevards. Les acteurs s’en donnent à cœur joie. Et Jean-Pierre Mocky s’est réservé un rôle caricatural qui permet de conclure le film sur une pirouette provocatrice comme il en a le secret.


Post Scriptum : le film a été tourné en Lorraine. Le générique de fin cite le théâtre et le Musée municipaux de la ville de Metz, ainsi que le lycée Fabert et l’école Sainte-Ségolène, le cimetière de l’est, le temple protestant et la gare SNCF. Il y a aussi le magnifique bâtiment de la pharmacie centrale d’Homécourt, le jardin botanique de Montigny-lès-Metz. Enfin, sont citées les villes de Joeuf (on peut remarquer un papy qui initie un garçon au football, dans la ville originaire de… la famille Platini) et la ville de Rombas. Et les premières scènes du film où l’on observe la destruction de bâtiments dans des usines ont été filmées dans celles de l’usine Unimétal de Joeuf et Gandrange-Rombas, ainsi que l’usine Lorfonte Agglomération-Rombas.

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le 29 août 2019

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