Dans le futur (2042), la révolution des mondes virtuels a eu lieu. 80% de la population mondiale ne vit plus que par procuration, en ligne. A néo-Paris, Nash, un héros générique sans personnalité, partage sa vie entre les aventures kitsh-fantasy de son avatar plus jeune en couple avec une enchanteresse sexy virtuelle, et ses aventures gritty-cyberpunk de détective privé alcoolique veuf au service d'une mégacorporation qui le charge d'enquêter en secret sur un virus qui assassine par centaines des gens connectés à leurs mondes virtuels.


Je vais dégager tout de suite les points positifs du film pour qu'on puisse avancer : compte-tenu du budget, les décors sont en règle générale assez bien faits. De plus, les acteurs sont d'une étonnante sobriété, ce qui rend la torture moins douloureuse. Eeeeet... c'est tout.


Ce film est rempli de problèmes. Déjà, il souffre sérieusement d'un manque de caractère personnel. Tout est du repompage (je refuse de parler de référence dans un cas comme ça) à de meilleures oeuvres. La version futuriste de Paris, sous la pluie nocturne, avec des tours immenses qui font passer la tour eiffel pour une naine (le tout par ailleurs assez bien modélisé), sort tout droit de Blade Runner. Les méchants flics d'Interpol sont des agents de Matrix au rabais. Les passages de jeu vidéo sont des sous Skyrim et Gears of War. Le film a en fait une seule idée originale (en l'occurrence, la fin :


les rebelles qui voulaient réveiller la population et détruire les mondes virtuels pour forcer les gens à vivre leur vraie vie IRL dans la réalité vraie sont en fait exterminés par la population elle-même, qui préfère rester connectée à jouer sans fin à une version interactive de Coeur de Dragon plutôt que d'affronter la réalité des lundis matins dans Néo Paris, avec la morale : "nous n'avons besoin de personne pour nous libérer, nous sommes libres, et nous choisissons volontairement cette vie d'échappatoire", ce qui est un très beau message, mais qui serait malheureusement plus crédible si la population était dans une situation qui n'est pas de toute évidence une addiction autodestructive. Ou alors le réalisateur nous dit que c'est mal d'essayer d'intervenir pour sauver contre leur gré des gens drogués au dernier degré et qui risquent l'overdose à tout moment. Je ne sais pas. A vous de vous faire votre idée. C'est un débat.


). A l'exception de cette idée un peu inattendue dans ce genre de films (mais moins subversive et moins maîtrisée que n'importe quel épisode de Black Mirror), rien, donc, n'a d'originalité. C'est franchement dommage, parce que les auteurs ont développé tout un univers avec son petit fonctionnement politique, son jargon, ses explications scientifico-sociales, mais sans à aucun moment adapter la réalité visuelle au discours. C'est-à-dire que le fonctionnement de ce monde, on ne fait que l'entendre, tout le temps, tout le temps, tout le temps. Les personnages passent leur temps à expliquer et justifier l'univers, à un point que c'en est épuisant, les dialogues sonnent faux - mention spéciale à l'insupportable intervention de Dina, l'employeuse du protagoniste, lorsqu'elle lui explique des choses que n'importe quelle personne vivant dans ce monde devrait savoir, et qui pourraient être justifiées si elles étaient racontées par un pilier de bar, mais certainement pas par une cadre supérieure d'une mégacorporation capitaliste 2.0. En gros c'est un truc dans le goût de "Tu crois que le gouvernement n'y trouve pas son compte ? C'est un équilibre entre les mégacorps et le gouvernement. On leur paye des impôts qui leur permettent de payer un revenu universel à la population, qui utilise ce revenu pour nous acheter leurs abonnements à leurs mondes virtuels. La plupart des gens sont obèses, l'espérance de vie est de quarante ans. Tu crois que ça n'arrange pas le gouvernement ? Ca lui permet de faire des économies sur la sécu". Sérieusement. C'est quand la dernière fois que la cadre sup' de votre boîte vous a tenu ce discours, comme ça, du coq à l'âne ? Donc les dialogues sonnent faux, tout le monde nous explique comment fonctionne cette société, mais rien de ce que l'on voit ne correspond à ce qu'on nous raconte. Mettons : on nous raconte que 80% de la population ne sort plus de chez elle, passe son temps en ligne et meurt à 40 ans. Alors comment ça se fait que la ville, en moins de trente ans (je rappelle que le film se passe en 2042) ait vu se construire des gratte-ciels de plus de six-cent mètres partout ? Quelle politique d'urbanisme imbécile a répondu à une chute en pic de la natalité et à une hausse en pic de la mortalité par "on va défigurer la ville pour construire des immenses immeubles d'habitation à la place !". Pour loger qui ? Il n'y a plus de naissance et de moins en moins de population, et les gens s'en foutent de vivre dans des taudis ! Donc c'est joli, c'est repompé à Blade Runner, mais ça ne sert à rien. D'ailleurs, rien ne se passe jamais dans ces immeubles tape-à-l'oeil, ou quasi. Alors pourquoi s'être emmerdé à bâtir cet univers visuel ? Pour le dépaysement ? Pour le fun ? Il est probable que les auteurs eux-mêmes ne le savent pas. Ils n'ont pas du réfléchir aussi loin. Et puis, le plus gênant, c'est tout de même l'absence totale de motivations chez les personnages. Pourquoi Nash, antihéros taciturne et oubliable, fait-il son travail de détective ? Quel est son intérêt, sa motivation, à lui qui déteste la vie réelle ? Trouver les assassins de sa femme (spoiler) ? Visiblement, non. Gagner de l'argent ? Ca pourrait, vu que son appartement est un peu plus chic que ceux des autres, mais étant donné qu'on nous dit qu'il existe un revenu universel et que Nash passe tout son temps connecté à sa machine de toutes façons... Parce qu'il est hédoniste et veut pouvoir s'acheter de belles choses ? Pff. Il porte les mêmes vieilles fringues pendant tout le film, et c'est un alcoolique qui boit tout ce qu'il trouve, peu importe la qualité. Donc, c'est pas pour l'argent. Pour le fun, alors ? Non plus, il a l'air de détester son travail. Par principe ? Ha ! On se donne bien du mal pour nous expliquer que c'est un homme cassé, qui n'a plus vraiment de principes. On a la même absence de motivations chez son beau-frère, adjuvant officiel de l'histoire et seul moteur réel de l'enquête (à la différence du héros, qui ne fait jamais rien que rater ce qu'il entreprend) un gars qui reprend un peu les codes de l'archétype du hacker : bégaiement, talent pour l'informatique of course, petites vannes. A sa première apparition, on nous fait comprendre que leur relation est presque inexistante, et il n'accepte d'aider Nash qu'en échange de matériel informatique high-tech que seul Nash peut lui fournir. Vers la fin du film, il aura passé toute l'histoire à aider Nash, sans jamais avoir reçu le matos en question, en ayant failli mourir une ou deux fois, et en se faisant un casier du tonnerre chez les flics. Toute l'ineptie du personnage et l'incrédibilité de sa relation avec le héros tient dans une réplique : alors que la police a découvert que le beau-frère avait piraté leurs serveurs, alors qu'on lui a déjà braqué un flingue sur la tempe, alors que son business est compromis et que les flics ont leur attention rivée sur lui, le héros lui demande de pirater à nouveau les serveurs des flics pour récupérer des informations top-secrètes dans le but d'aider des terroristes. Réaction du beau-frère : "Attends. T'es sérieux là ? Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Tu passes ton temps à venir ici sans frapper, sans dire bonjour ni merci ni s'il te plaît, tu m'as déjà mis dans la merde, et maintenant tu veux que je me mouille pour aider des terroristes ? - Oui. - ...bon ok j'vais l'faire. Mais t'as intérêt à dire merci ! Et vaudrait mieux que mon matos arrive vite !".


Non mais qu'est-ce que c'est que ce personnage sans personnalité ? Tu as le droit de refuser, mec! Pourquoi est-ce qu'il accepte tout comme ça !


Enfin bref. Je vais pas continuer pendant des années. Vous aurez compris que je ne recommande pas ce film. J'ai mis trois sur dix pour les décors, parce que malgré tout il y a un certain effort, un certain travail qui a été fait, et une unité visuelle dans cet univers, même si, comme je l'ai dit, le fait que ce visuel soit déconnecté de la réalité de l'univers rend un peu ce travail caduc. Et puis, même ça, c'est pas si terrible. La première scène, par exemple, c'est une baston héroic-fantasy médiévale, hé bien le seul endroit qu'ils aient trouvé pour filmer ça, c'était dans un bois devant une sorte d'entrée de tunnel de service de la RATP, une architecture industrielle typiquement XXe siècle. Quoi, une simple forêt ça n'aurait pas été assez bien ? Il fallait absolument glisser un bâtiment ? Les gars, ça n'est pas parce qu'il y a de la pierre apparente que c'est médiéval. Dans la première scène, en plus ! Vas-y pour entrer dans cet univers, quand ça commence aussi mal ! Aussi : pourquoi est-ce que la cheffe de la mégacorp a une statue de Chtullhu dans son bureau derrière elle ? Les bâtiments gigantesques à l'architecture fasciste, ça suffisait pas pour signaler que ces gens étaient méchants ? Il fallait rajouter une statue de trois mètres de Cthulhu le Grand Ancien, dieu cosmique monstrueux, vénéré par la secte des hommes-poissons ? Quelle finesse. Pourquoi pas un buste d'Adolf Hitler tant qu'on y est ?

Clément_Etienne
3

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le 25 oct. 2016

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