Vital
6.8
Vital

Film de Shinya Tsukamoto (2004)

Après avoir vu les deux premiers Testuo, faire un bond dans la filmo de Tsukamoto pour atterrir en 2004 sur Vital recèle son lot de surprises. Film sombre s’il en est —à l’image de ce que l’on pourrait attendre du bonhomme, Vital fait montre d’un tout autre aspect de la sensibilité du réalisateur ; et c’est tant mieux.

Et puis autant vous dire que je suis officiellement fan de Asano ; c’est dit.

Vital c’est donc d’abord la surprise de voir Tsukamoto se poser, lui et sa caméra, et de laisser un peu de côté son épilepsie visuelle et sonore. On est capté d’emblée par la beauté de certains plans, fixes ou non, presque oniriques, posés —encore une fois, à la photographie bleutée prédominante, froide et mélancolique, qui accompagne l’éveil d’un homme ressortant du coma.

On est emporté par le potentiel émotionnel de ces images au spleen indéniable véhiculé par le son des éléments et la musique atmosphérique de Chu Ishikawa (déjà efficace sur le premier Tetsuo) ; un vide existentiel qui se lit sur le visage de Asano dont le personnage de Hiroshi semble revenir à la vie comme une âme errerait au milieu des morts.

Foutez vous de moi si vous voulez mais ce début, ainsi que toutes les séquences aux couleurs bleutées m’évoquent cette impression de mélancolie de bassin de piscine vue dans le clip « Pull marine » d’Adjani.

L’eau d’ailleurs, parlons en puisqu’elle est omniprésente tout le long du film : sous forme de larme, de sueur, de pluie, de flaques, de ruissellement, et enfin la mer et les vagues. Puisqu’il est question de temps, puisqu’il est question de vie, elle apparaît insaisissable et omniprésente, sauvage, triste, déchainée, immense, et rassurante à la fois.

Mais revenons au centre du film : ses thèmes. A priori, Vital parle de mort —assez ironiquement d’ailleurs il n’en est rien, comme l’indique son titre. De façon surprenante, Tsukamoto brasse beaucoup de thématiques relatives à la mort ; à savoir la dissection de son mystère (pour le coup, au sens propre aussi), la mémoire, le deuil, l’absence, les souvenirs, les liens tissés, les errances d’âmes meurtries pour lesquelles la vie semblait trop douloureuse. Il s’interroge sur ce qu’il reste après le décès, et ce sans mysticisme ou idéologie religieuse lourdingues.

En somme Tsukamoto pose la question de savoir ce qui est vital. Et pour se faire il fait voyager son personnage principal au centre de son âme, de ses souvenirs, de ses désirs, de ses actions passées, et il les contre balancent avec ce qu’il va devoir faire de ces bases pour redonner un sens à son existence.

La question de la culpabilité, du pardon et de la quête existentielle menant à la paix intérieure s’établira au travers de l’introspection de Hiroshi ; il dialoguera avec ses rêves, ses souvenirs, fera fi de sa tendance à l’auto destruction pour accomplir un parcours difficile mais empli de désir de rédemption, voire de vérité. Petit à petit, son personnage d’abord mutique et froid retrouvera figure humaine au fur et à mesure que son itinéraire au centre de sa mémoire et de ses rêves se dévoilera.

Tadanobu Asano, qui figure maintenant parmi mes acteurs japonais favoris, est absolument remarquable dans ce rôle tout en retenu. Terriblement inhumain quand il le faut (et comme il l’a déjà prouvé dans Yume no ginga ou Ichi the Killer), il est capable de dégager avec peu de gestuelle ou d’expressivité une grande sensibilité, une extrême froideur et beaucoup de chaleur mélancolique et douce. Il est intéressant —notamment au début— de voir comme il semble se fondre au décor et revêtir la peau d’un caméléon triste et humide. Un étrange charisme qui sied parfaitement à cette histoire sombre mais pleine de furtives lueurs d’espoir ; comme une lumière au bout du tunnel. (Accessoirement je trouve aussi qu’il a des yeux de manekineko, mais c’est une autre histoire)

Bien entendu, Asano n’est pas le seul acteur convaincant, dois je le préciser ?

Vital ne mériterait objectivement pas plus de 7 ou 8, cependant ce 9 trouve sa justification dans sa durée menant à l’essentiel (1h25), sa forte identité visuelle (superbe photographie), sa réalisation maligne et posée au ton mélancolique inattendu, ainsi que dans son ambiance sonore très travaillée.

Surtout, voilà que Tsukamoto me surprend, me touche et me prouve qu’il sait faire autre chose que de l’expérimental sous LSD.
real_folk_blues

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