Sur la tombe d'Ozu est gravé un ancien idéogramme MU (séquence de Tokyo Ga, de Wenders) qui signifie vide, rien.
Que Ozu ait comme nous tous ou peut-être plus sensiblement que nous, conscience de notre finitude, qu'il l'ait souhaité sur sa tombe nous fait apparaître ce film Voyage à Tokyo dans sa dimension funèbre.
Non pas parce que le film se finit par une mort mais parce que le voyage à rebours est un adieu qui ne voulait pas l'être, comme notre vie est un
adieu permanent à ce qu'instantanément nous cessons de faire ou d'être.
Dans son style dramatiquement mais faussement atone, dans l'extrême pudeur des relations humaines la potentialité de leur violence émerge en filigrane. Le vieux couple qui rend visite à leurs enfants est confronté à leur indifférence mais pas une indifférence délibérée, de celle qu'impose la vie et qui s'insinue jusqu'à à la prise de conscience avec la disparition de la mère (le plus jeune fils qui l'avoue à la toute fin).
Ozu parle d'une errance familiale, de ce qui l'a toujours intéressé la "désintégration de la famille", mais sans juger, il n'y a pas de méchanceté, il n'y a pas chez les enfants une conscience du rejet de leurs parents. Il y a du fatalisme chez Ozu qui s'incarne si bien chez la belle-fille veuve, la seule à porter une attention et une tendresse aux vieux couple.
Ce personnage (magnifique Setsuko Hara) a plus que les autres des raisons de souffrir mais c'est elle qui va être la plus généreuse par sa présence et qui accompagnera le désormais veuf bien après ses propres enfants.
Ozu de l'errance à travers la famille conclut par la mort qui est comme le paroxysme de la déception. L'amertume d'Ozu est réelle et si elle a les apparences de la tranquillité elle ne peut être que d'une extrême dureté.