Avocat réputé, marié à une femme superbe et père de deux enfants, Howard Wakefield a normalement tout pour être un homme comblé. Un soir, alors qu'il rentre en retard chez lui sans avoir prévenu sa famille, il se met à la poursuite d'un raton-laveur cherchant à élire domicile dans la dépendance de leur maison servant de garage. De l'étage, il remarque qu'il peut avoir une vue imprenable sur sa demeure et suivre tranquillement les faits et gestes de sa femme et ses filles sans être remarqué. Howard s'installe donc dans un fauteuil et se met à observer la vie de son entourage en son absence. Mais ce qui devait être une distraction de quelques heures va durer des jours, des semaines, des mois...


Comme aime à nous le rappeler si souvent le cinéma US, la petite vie idyllique en banlieue américaine n'est qu'une cage dorée remplie de non-dits, de ressentiments et autres névroses de ceux qui, après avoir pourchassé l'idée d'y habiter comme une sorte de réussite ultime, se retrouvent à y stagner pour le restant de leur existence.
Conscient qu'il a un jour atteint ce point de non-retour, Howard Wakefield décide donc de mettre tout simplement sa vie sur pause en préférant découvrir les conséquences de sa soudaine disparition sur les personnes qui l'ont cotoyé pendant des années.
Il convient de préciser que Howard est parfaitement antipathique (une des grandes idées du film), enfermé dans une misanthropie sidérante et proportionnelle à la détérioration de ses relations avec ses proches. Cette expérience voyeuriste qu'il va s'infliger sera dans un premier temps jouissive en lui conférant ce statut de narrateur omniscient capable de mettre des mots sur les lèvres des personnes observés dont il croit connaître tous les contours. Mais l'engrenage dans lequel il se retrouvera ensuite prisonnier suite à la désormais impossibilité de révéler sa présence sera l'occasion d'une longue introspection existentielle ôtée de toute les supercheries de sa condition sociale qui, sans renier la profonde nature égocentrique du personnage (par exemple, il aimera à nous rappeler que les liens innocents qu'il noue avec des enfants du voisinage est issue d'une décision pour laquelle il avait raison contre l'avis de sa femme), lui permettra de retrouver certaines données fondamentales de son humanité qu'il n'avait jusqu'alors fait qu'effleurer. Il n'est en fait même pas question de dépression dans ce comportement irrationnel que va adopter Howard, il s'agit plutôt de la réponse inconsciente d'un esprit malade et manipulateur aux mensonges sur lesquels s'est construit sa vie entière, une sorte de punition rédemptrice (sur certains aspects) aux ramifications aussi bien physiques et mentales à l'inverse de sa condition dite normale.


En ce sens, la prestation incroyable de Bryan Cranston est le coeur du film. De sa transformation physique à l'absence cruelle d'empathie qu'il insuffle à ce passionnant personnage, le numéro impressionnant de l'acteur engendre une espèce de fascination constante autour d'Howard Wakefield où l'on cherche à déceler chaque nuance de caractère de cet énigmatique personnage qui nous permettrait de mieux comprendre par quel cheminement son esprit torturé passe pour aboutir à une démarche aussi jusqu'au-boutiste.


Le film sera d'ailleurs (quasiment) construit uniquement autour de lui. Aussi bien sur le fond que sur la forme, les seconds rôles nous seront en fait présentés comme des marionnettes dont les paroles et pensées sont le fruit de l'imaginaire de Wakefield, même les quelques flashbacks sous la forme de souvenirs (et donc subjectifs) ne nous permettront pas de les voir autrement que par son prisme. Tout comme sa famille, le spectateur se retrouve ainsi "condamné" à subir la présence vampirisante et manipulatrice de Howard... dans un premier temps. Car la détérioration mentale du personnage au fil du temps le conduira à se laisser de plus en plus surprendre par les événements et quelques rencontres impromptues.


Si l'on excepte une dernière partie qui sombre dans quelques excès répétitifs (mais rattrapée par une fin finement pensée), "Wakefield" est film maîtrisé, surprenant et au pouvoir de fascination assez dingue, aussi bien par cette envie enfouie en chacun de nous de mettre un jour sa vie entre parenthèses que par son personnage misanthrope à contre-courant des canons actuels. L'expérience Wakefield est incontestablement à découvrir.

RedArrow
8
Écrit par

Créée

le 20 oct. 2017

Critique lue 720 fois

1 j'aime

RedArrow

Écrit par

Critique lue 720 fois

1

D'autres avis sur Wakefield

Wakefield
limma
6

Critique de Wakefield par limma

L’esclavage sociétal pour la remise en question d’un homme à s’accepter lui-même et à tout abandonner pour mieux renaître. Wakefield va faire un choix improbable. Victime du système, d’un mode de...

le 9 sept. 2017

5 j'aime

Wakefield
R_N
7

Vous êtes dépressif? Eviter les raton-laveur! (sans spoiler)

N'ayant pas lu l'oeuvre originale de Doctorow, je ne me prononcerais pas sur la qualitée du film en terme d'adaptation (même si Robin Swicord la réalisatrice est une adepte confirmée du genre) mais...

Par

le 14 sept. 2016

3 j'aime

1

Wakefield
Marie-HélèneArcand
3

La culture du viol dans toute sa splendeur

L'idée de départ est intéressante: Une sorte d"Into the Wild" version banlieue américaine, c'est rigolo. Mais j'ai décroché. Pas parce que c'est effectivement trop long, ou que le rythme soit lent,...

le 3 déc. 2017

1 j'aime

Du même critique

Nightmare Alley
RedArrow
9

"Je suis né pour ça."

Les premières minutes que l'on passe à parcourir cette "Nightmare Alley" ont beau nous montrer explicitement la fuite d'un homme devant un passé qu'il a cherché à réduire en cendres, le personnage de...

le 19 janv. 2022

73 j'aime

16

Umbrella Academy
RedArrow
5

L'Académie des 7 (saisons 1 & 2)

SAISON 1 (5/10) Au bout de seulement deux épisodes, on y croyait, tous les feux étaient au vert pour qu'on tienne le "The Haunting of Hill House" de personnes dotés de super-pouvoirs avec "The...

le 18 févr. 2019

67 j'aime

10

Bird Box
RedArrow
6

Sans un regard

L'apocalypse, des créatures mystérieuses, une privation sensorielle, une héroïne enceinte prête à tout pour s'en sortir... Le rapprochement entre cette adaptation du roman de Josh Malerman et "Sans...

le 21 déc. 2018

66 j'aime

7