Welcome to Me
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Welcome to Me

Film de Shira Piven (2015)

On ignore encore pour quelles raisons mais, selon toute vraisemblance, Alice s'est arrêtée un beau jour sur la bande d'arrêt d'urgence de son existence et n'en est jamais repartie. Dévorée par des troubles de la personnalité que l'on imagine sans mal émaner d'une dépression, la jeune femme s'est complètement repliée sur elle-même en développant une obsession malsaine pour l'exhibitionnisme émotionnelle des talk-shows d'Oprah Winfrey qu'elle ne cesse de regarder en boucle. Alors qu'on la sent sur le point de perdre totalement pied en découvrant ses TOC très drôles (comme ses déclarations intimes sous forme de discours solennels de star) ou son attitude aussi incroyablement égocentrée qu'irrationnelle avec ses quelques proches, Alice gagne soudain 86 millions de dollars à la loterie. Avec cette somme, elle décide tout logiquement (selon son point de vue) de créer sa propre émission TV avec comme principale sujet... elle-même !


D'abord, quel fabuleux personnage, à la fois tellement improbable, si juste et porté par une incroyable Kristen Wiig (sans doute un de ses plus beaux rôles) ! À travers Alice Klieg se dessinent les facettes d'une femme malade, triste, blessée par la vie mais, enfermée dans un tel délire de désir de connaître ce goût de la célébrité télévisuelle qui la fascine, que son obstination naïve à l'atteindre la conduit à tous les excès les plus fantaisistes et inconscients. Évidemment, l'argent lui ouvre désormais toutes les portes -enfin surtout celui d'un petit studio de télé-achat local trop content d'accueillir ses millions dollars en cédant à tous ses caprices sans sourciller- et, dès lors que la fameuse émission "Welcome to Me" débute, la lecture de la personnalité inconoclaste d'Alice n'en devient que plus exacerbée, oscillant entre le monde quasi-enfantin de sa représentation d'un talk-show et la possibilité d'enfin pouvoir raconter les maux qui la rongent à une audience susceptible de l'écouter.


Plus largement, ce premier film de Shira Piven (soeur de l'acteur Jeremy et épouse d'Adam McKay qui officie ici en tant que producteur avec son compère Will Ferrell) joue aussi habilement sur la palette d'émotions renvoyée par cette héroïne si particulière. Exploité avec une réelle efficacité, l'humour découlant des saynètes ubuesques de l'émission se dispute au pathétique jusqu'au-boutiste de l'obsession d'Alice afin de créer un sentiment de malaise omniprésent devant une situation de plus en plus intenable. Car, si le film est bien entendu centré sur Alice comme un reflet de son narcissisme croissant, il n'en oublie pas moins d'aborder les membres de l'équipe de production qui l'entourent, déchirés entre un boss (James Marsden) tout heureux de renflouer les comptes de sa société et ses employés coupables d'exploiter la détresse mentale de cette femme.


On sent d'ailleurs la volonté de Shira Piven de déborder sur d'autres terrains plus critiques en allant dénoncer ce monstre médiatique parfois dépassé par ses propres créatures dont il tente de profiter au maximum du succès mais d'autres hits cinématographiques plus illustres en ce domaine sont déjà passés par là et "Welcome to Me" trouve ses limites en voulant s'éparpiller sur une thématique trop grande pour lui, un sentiment qui est d'ailleurs renforcé par le personnage de Jennifer Jason Leigh, catalyseur de ce propos mais au traitement parfaitement insignifiant.
Peut-être imputables aux défauts inhérents à un premier long-métrage, ces limites vont aussi se trahir par l'exécution du film en lui-même. La frontière de plus en plus ténue entre la réalité d'une vie et sa reconstitution télévisée aura beau connaître de jolies idées de mise en scène (la séquence en forme de tragédie en ombres chinoises), il manquera cependant à "Welcome to Me" un vrai souffle visuel pour lui permettre de tutoyer de plus hautes sphères alors que pourtant tout s'y prêtait. De même, la construction scénaristique si réussie pour nous faire partager l'ascension de son héroïne reviendra finalement vers les balises habituelles d'une histoire de rédemption avec la prise de conscience inévitable d'Alice sur son égo démesuré par le prisme d'une amitié indéfectible.


Néanmoins, si la dernière partie de "Welcome to Me" sera plus avarde en surprises, le film aura incontestablement réussi le pari de nous faire rentrer dans la tête de son héroïne malgré tout attachante.
Croisement invraisemblable entre la naïveté d'une princesse Disney perdue dans notre monde et incarnation humaine de la perte de repères de la dépression, Alice aura été un personnage incroyable à suivre de bout en bout ! Déboussolant tous les protagonistes sur sa route par sa candeur et sa lecture biaisée de la réalité, la star du show "Welcome to Me" aura accompli son but : nous raconter sa vie de la meilleure manière qu'il soit.
Et, répétons-le, Kristen Wiig aura été exceptionnelle dans le rôle de cette présentatrice hors-normes.

RedArrow
7
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le 16 août 2018

Critique lue 222 fois

3 j'aime

RedArrow

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